Porté par des bâtons

Publié le 29/04/2022

Beaussant Lefèvre & Associés/Drouot

« La chaise à porteurs est un admirable retranchement contre les insultes de la boue et du mauvais temps », disait le littérateur Antoine Baudeau de Somaize dans son Grand Dictionnaire des Prétieuses ou la Clef de la langue des ruelles, publié pour la première fois en 1660. Ce personnage, dont on ne sait rien sinon qu’il a laissé quelques écrits, n’aimait pas les précieuses. Nous ignorons s’il profita de « ces cabines munies de brancards et portées à bras d’hommes », selon la définition du Dictionnaire de l’Académie ; mais au moins, il voyait juste dans leur agrément. Au contraire des litières romaines, la « chaise » comme on l’appelait familièrement à l’époque permettait de voyager assis. Nous essayons d’imaginer une course dans cette boîte balancée par le rythme des porteurs courant à demi sur les rues et les venelles des villes pavées ou boueux, encombré de passants, vendeurs à la criée, animaux en liberté, étals bigarrés et autres occupants tout aussi odorants… Sans oublier les ordures jonchant les ruelles. Il fallait se tenir aux poignées suspendues et se carrer au maximum dans le siège, pourvu, espérons-le, de coussins.

Une chaise à porteurs à décor polychrome de guirlandes fleuries entourant un médaillon avec un amour d’époque XVIIIe siècle a été adjugée 3 864 €, à Drouot, le 31 mars 2022 par la maison Beaussant Lefèvre. Le dessus de ce meuble mouvant est en cuir clouté et son décor est daté du XIXe siècle. L’usage des chaises à porteurs s’est arrêté durant la Révolution et, depuis, les survivantes ont été ravalées au rang d’élément de décor au mieux de vitrine, dans les vestibules ou les entrées des maisons. Ce n’est qu’un juste retour des choses puisque ces chaises pénétraient à l’intérieur des hôtels, épargnant ainsi les désagréments des chaussées boueuses ou poussiéreuses à leur passager.

Si les chaises à porteurs subsistantes bénéficient de confortables enchères et d’un certain engouement, c’est sans doute grâce à leur décor. Il était de bon ton, comme pour les carrosses particuliers, de faire peindre les panneaux de ces véhicules sans roue de volutes, de feuillages de paysages et aussi d’armoiries timbrées de couronnes supportées par des animaux légendaires. Antoine Vernet, installé à Avignon, s’était fait une spécialité dans l’exécution de ces ornements. Nous en voyons de rutilants exemples, notamment dans le Musée national de la voiture et du tourisme de Compiègne, mais aussi dans la galerie des Carrosses du château de Versailles.

On laisse entendre que la reine Margot, la première femme d’Henri IV, introduisit l’usage de la « chaise » en France. Elle imitait en cela le roi d’Angleterre Henri VIII.

• Beaussant Lefèvre & Associés, 32 rue Drouot, 75009 Paris.

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