Psyche, dramatick opera de Matthew Locke

Publié le 13/04/2023

Harmonia Mundi

On doit à Sébastien Daucé d’avoir reconstruit le dramatick opera Psyche de Matthew Locke, créé en 1775 à Londres et qui trouve son origine dans Les Métamorphoses d’Apulée, mais également sur les rives de la Seine dans une tragédie-ballet, Psyché, commandée par Louis XIV à l’équipe Molière-Corneille-Quinault et Lully (1771). Son succès traversera vite le Channel pour donner l’idée au roi d’Angleterre Charles II de demander à ses musiciens de cour de lui écrire « le premier opéra anglais ». Le librettiste Thomas Shadwell s’inspire directement de la trame de ses trois collègues français. L’opéra conte les amours contrariés entre la princesse Psyche et Cupidon, mis en échec par ses deux sœurs, jalouses de sa grande beauté. L’originalité est que les deux personnages principaux ne s’expriment pas, laissant aux dieux, Venus, Proserpine, Pan, Mars, et à quelques autres figures grotesques le soin de le faire à leur place. On assiste à un savoureux mélange des registres, du tragique au comique, voire au franchement burlesque, dans la plus pure veine anglaise. On est encore proche du « mask », genre consubstantiellement british. Mais cela s’ouvre à celui de l’opéra, naissant là-bas, pour un feu d’artifice artistique mêlant théâtre parlé, chant, danse et machinerie spectaculaire. La musique renferme des passages d’une grande force dramatique comme d’une extrême finesse orchestrale, utilisant divers types : la ballade, l’air, le récitatif et la fugue. Divisée en cinq actes, la trame entremêle bien des péripéties. Chacun est précédé d’une sorte d’énoncé musical de celle à venir, dont par exemple une musique solennelle introduisant l’acte II, au temple d’Apollon, ou celui d’entrée du III, atmosphère de félicité contrastant avec la danse affairée des cyclopes. Les airs sont bien différenciés et les danses extrêmement variées, dont l’étonnante « Danse des statues qui bondissent de leur piédestal », passant du stand still à la plus cocasse vivacité. Les nombreuses pages purement symphoniques ouvrent des univers là aussi très contrastés, voire opposés. Pas moins originales, se succèdent des scènes d’une franche nouveauté pour l’époque, pittoresques voire pleines de drôlerie. Ainsi de l’entrée de Psyche, illustrée par une « chanteuse » puis un « chanteur » qui s’unissent en un duo avec chœur. Ou encore l’« Entrée de Pluton », là où l’intrigue bascule en une musique réconfortante, car le dieu et sa compagne Proserpine vont « transporter Psyche au ciel ». Le tableau final de l’opéra avec « Grand chorus and dance, with all the instruments », outre l’intervention de Bacchus donnant la réplique à Apollon, conclut en apothéose un festin de tous les instants.

L’interprétation de Sébastien Daucé retrouve sans doute le ton de ce qui devait être l’original et son étourdissant foisonnement. La vision est généreuse pour s’adapter aux divers registres visités par Locke. La vivacité des tempos rapides parés de bois joyeux et d’autres instruments agiles, n’a d’égale que l’art de faire chanter les cordes. Les danses, souvent bardées de percussions fusant comme des étincelles, offrent une réelle élasticité, aptes à rendre à cette musique sa fraîcheur et sa spontanéité. L’Ensemble Correspondances, fort d’une quinzaine de cordes, de bois, cornets, saqueboutes, luth, clavecin et harpe, distille des sonorités lustrées ou vives. La distribution vocale a été choisie parmi la formidable génération montante, singulièrement française. Lucile Richardot apporte au Chief Priest un timbre velouté de mezzo grave et d’une sûre projection. Le ténor Marc Mauillon (Mars, quelque Démon ou encore un des cyclopes) ne cède en rien question acuité de la déclamation, comme il en va de la basse Nicolas Brooymans (Pan et Pluton). Tous les registres vocaux sollicités montrent plus que de l’habileté : les ténors Antonin Rondepierre ou Davy Cornillot, les basses Renaud Bres ou Étienne Bazola. Dans le groupe des sopranos lumineux, ce sont Deborah Cachet (Proserpine), Caroline Bardot (Furie, Nymphe), Liselot de Wilde (Venus), ou le timbre plus lyrique de Caroline Weynants (Nymphe, Furie, Amant élyséen). Et bien sûr les brillants contre ténors, David Tricou ou Paul-Antoine Djian (Apollo, Démon). Tous sont investis à fond, galvanisés par le chef, dans le challenge que réalise cette remise à jour d’une œuvre combien porteuse pour les voix.

Matthew Locke : Psyche, dramatick opera en 5 actes. Livret de Thomas Shadwell, d’après Molière, Quinault, Corneille et « Psyché » de Lully

Lucile Richardot, Nicolas Brooymans, Marc Mauillon, Renaud Bres, Caroline Weynants, Caroline Bardot, Liselot de Wilde, Deborah Cachet, Antonin Rondepierre, Étienne Bazola, David Tricou, Davy Cornillot, Paul-Antone Djian

Ensemble Correspondances, clavecin et dir. Sébastien Daucé

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