Quand Babylon nous invite à revoir Singin’ in the Rain

Publié le 02/02/2023

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Pourquoi revoir le film Singin’ in the Rain (Chantons sous la pluie) ? Une première raison s’impose à l’évidence. La sortie de Babylon de Damien Chazelle, qui lorgne du côté de son aîné de soixante-dix ans, invite à un nécessaire retour sur le plus beau musical de l’histoire du cinéma…

Mais alors pourquoi ?

Parce que Stanley Donen et Gene Kelly. Co-réalisateurs, le duo fait merveille. Ce n’était pas leur première collaboration, il y avait déjà eu Un jour à New York (On the Town). Plus tard, il y aura Beau fixe sur New York (It’s Always Fair Weather), avec ses prouesses : Gene Kelly danse en patins à roulettes puis, avec ses comparses, ils engagent un ballet avec des couvercles aux pieds. En 1952, Stanley Donen – l’un des plus brillants –  a déjà signé Mariage royal (Royal Wedding). Manière de constater que la co-réalisation, exercice pourtant bien délicat, lorsqu’elle est conduite en confiance réciproque peut donner vie à un bijou. Beaucoup de choses ont été écrites et dites sur la scène où Gene chante et danse sous la pluie : comment filmer la pluie qui en principe ne se voit pas, ou comment faire quand on tourne en été et qu’il n’y a pas d’eau aux environs ? Faire un film, c’est souvent trouver des solutions. Les numéros de claquettes, les tubes comme You Are My Lucky Star ou Would You?, les performances techniques, l’art de filmer, tout cela c’est aussi Singin’ in the Rain. Une leçon de cinéma.

Parce que Donald, Jean, Debbie, Cyd. Gene Kelly a le beau rôle, il excelle dans le personnage de Don Lockwood. Il n’est pas seul à briller. Debbie Reynolds rêvait de jouer avec Gene. Dans le film, elle joue Kathy qui ne jure au début que par le théâtre, ce qui vaut quelques dialogues succulents que n’atteignent pas ceux de Babylon. Debbie fut la révélation du film. Elle irradie l’écran de son sourire et de son jeu. Jean Hagen joue Lina Lamont, dont elle sculpte le personnage pour l’éternité. Donald O’Connor, lui, est le type le plus sympa du monde. Et un acteur complet : danseur remarquable, il savait tout jouer. La Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) alla le chercher pour ce film chez Universal, qui l’avait sous contrat. Cyd Charisse, qui dut lutter contre le vent dans la scène dalinienne du foulard, déploie sa silhouette et son art dans le mythique ballet Broadway Melody, sacrément plus fou et swinguant que les scènes orgiaques et saturées de musique d’un film récent. Combien il est injuste de ne pouvoir citer tous ceux qui jouent ! N’oublions pas Millard Mitchell qui incarne un producteur attentionné et bienveillant. Un mot enfin pour signaler que le type qui annonce le premier film parlant s’appelle Julius Tannen ; il mérite bien qu’on s’en souvienne. Et tous méritent qu’on les retrouve pour une nouvelle séance.

Parce que la Metro-Goldwyn-Mayer. C’était le temps des studios. La MGM s’était spécialisée aussi dans le film musical, elle peut s’enorgueillir d’un catalogue de luxe. La MGM, c’était des équipes et des talents partout. Arthur Freed collectionnait les casquettes et les savoir-faire : compositeur, producteur, parolier, il pouvait prendre quelques libertés comme pour composer l’efficace Make ‘Em Laugh qui rappelle quand même le Be a Clown de Cole Porter. Freed « portait » les comédies musicales. À la direction artistique, on retrouve aussi Cedric Gibbons qui a laissé sa marque sur de grands films, assisté ici par Randall Duell. Ce qui fait la force de Chantons sous la pluie, c’est aussi et surtout le scénario sacrément intelligent signé Betty Comdem et Adolph Green, les plumes des films MGM. La musique est signée Nacio Herb Brown. La photographie signée Harold Rosson participe de la réussite esthétique du film.

Aperçu de l’affiche du film Babylon de Damien Chazelle (2023)

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Parce que c’est le plus beau film musical ? Patrick Brion en était convaincu. Nous aussi. Beaucoup d’autres ne déméritent pas, ils ont bien du charme et bien des atouts. La référence reste quand même ce film, qui filme un autre film en train de se faire. Exemple parfait du backstage, il y a tout dans Singin’ in the Rain ! L’histoire du cinéma qui bascule dans une autre ère. Le muet cède la place. À quel prix ? The Artist se souviendra de cela, avec talent. Parmi les questions que pose Singin’ in the Rain, il y en a une, centrale : c’est quoi être acteur ? À sa manière, le film donne les clés de ce mystère. Et puisque le film parle du passage au son, comment ne pas relever que sur le film, celui qui s’occupa du son était Douglas Shearer. Le nom vous parle ? Il était le frère de Norma Shearer, actrice qui épousa en 1927 un certain Irving Thalberg, le big chief de la MGM auquel l’excellent Brad Pitt alias Jack Conrad tente désespérement de téléphoner dans Babylon. Amusant…

Pour tout cela et encore bien d’autres choses, il faut revoir Singin’ in the Rain.

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