Quarante ans

Publié le 28/09/2017

Marc Lambron, l’académicien.

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En 1997, Marc Lambron publie 1941 chez Grasset. Quarante ans, que publie en 2017 le même éditeur, évoque sous forme de journal cette année particulière pour Marc Lambron, marquée par la sortie du livre 1941, consacré au régime de Vichy. Le livre sort au moment du procès Papon. Cette parution va bousculer sa vie et avec lui le petit cénacle des lettres parisiennes. Mais cette année 1997 est surtout celle de la disparition de son père, dont il parle avec pudeur et tendresse jusqu’à la fin du livre. Autour de ces deux fils rouges gravitent sur presque 500 pages une série de portraits délicieux, de réflexions politiques ou affectives et d’anecdotes souvent savoureuses.  

On se ballade essentiellement à Paris, dans le monde des lettres, des éditeurs et de la critique littéraire, ce qui nous vaut quelques révélations. Avec le style Lambron, léger et amusé, se dessine une carte des lieux — notamment les nappes de restaurant, du Récamier à La Closerie des lilas — où ce petit monde se croise, se parle, se teste, se déteste aussi. Quarante ans plus tard, ça n’a guère changé même si quelques visages ont disparu et certaines adresses ont été remplacées par d’autres. À travers l’expérience de son 1941 et du périple du prix Goncourt, Marc Lambron évoque au passage la fabrique d’un livre, les arcanes des jurys et les exigences d’un prix littéraire. À l’époque les auteurs dont on parle sont Patrick Rambaud, Lydie Salvayre…

Il y a plusieurs manières de lire ce livre

Façon miroir et nostalgie déjà. Marc Lambron parle du temps qui passe, celui de l’enfance, la sienne, celle de ses filles, un livre intimiste comme peut l’être un journal, grave mais jamais impudique. Façon galerie de portraits, il y en a des dizaines, de Daniel Auteuil à Laure Adler, Jean-Edern Hallier, Mazarine Pingeot, des dizaines d’autres ; souvent sous forme d’instantanés croqués comme un dessinateur. Ou façon Histoire avec les développements consacrés au régime de Vichy et sa difficulté d’analyse, encore aujourd’hui. On peut aussi, puisqu’on est ici dans une revue juridique, s’amuser à le prendre comme le journal tenu par un conseiller d’État qui serait sérieux forcément quand il conclut sur l’affaire de l’abattage collectif des moutons dans un lieu public mais un brin facétieux et espiègle. Marc Lambron conte quelques anecdotes succulentes comme ce conseiller qui disait à sa femme qu’il rentrait tard le soir à cause des séances du nuit au Conseil ! Sauf qu’il n y avait pas de séance de nuit au Conseil. Ou qu’avec son ami Erik Orsenna, de son vrai nom Erik Arnoult, ils avaient cette même année envisagé (l’ont-ils fait ?) d’introduire une requête au Conseil d’État pour qu’une réplique du buste de Voltaire par Jean-Antoine Houdon soit installée dans la salle Napoléon. Et Marc Lambron d’expliquer : « Nous serons ainsi, Erik et moi, responsable d’une érection de Voltaire au Palais-Royal ». L’esprit potache n’a donc pas disparu sous les livres de droit, c’est tant mieux. La légèreté qui sied si bien à Marc Lambron non plus. Évoquant le portrait du conseiller Girod de l’Ain dans la salle de la section sociale du Conseil d’État, il confesse lui préférer Alix Girod de l’Ain « avec qui j’ai dansé il y a un mois un reggae chaloupé — Baby I Love Your Way ». Plus sérieux, Marc Lambron cite le président Andrieux, revient sur le débat entre les écoles de Bordeaux et de Toulouse, évoque le professeur Pierre Delvolvé. Le Conseil d’État ne serait pas tout à fait la même chose sans le Nemours, le café sous les arcades, sans ses jardins et sans Dalamain. La vie d’un conseiller d’État, quand il est en plus écrivain de talent, qu’il dîne à la Closerie, au Flore ou au Récamier, qu’il interviewe Eva Herzegova, « belle à faire casser un vitrail par un archevêque » ou Claudia Cardinale qui a le « charme même de celles qui, pour avoir oublié qu’elle ont été un jour blessées, ont la civilisation de ne blesser personne », le tout entre une séance d’instruction ou de prononcé de conclusions et qu’il visionne quelques extraits d’Autant en emporte le vent pour statuer dans une affaire d’écran publicitaire, c’est franchement agréable non ?

Le livre explore bien d’autres univers et sentiments mais on ne veut pas plus en révéler la richesse. Quant au style c’est du Marc Lambron. C’est dire tout ce qu’il peut y avoir d’exquis dans cette lecture.

 

LPA 28 Sep. 2017, n° 129m6, p.15

Référence : LPA 28 Sep. 2017, n° 129m6, p.15

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