Quel rôle a l’art dans une société ?
Vassily Kandinsky, Croix blanche.
DR
André Malraux écrivit que « l’art est un anti-destin ». Oui, car il est universel et qu’il englobe diverses expressions. Mais l’art a, avant toute chose, une vocation de lien dans une société, chez un peuple, et son rôle est spécifique, quel que soit le pays où il s’élabore. L’art exprime non seulement des expériences individuelles, qui sont des propositions de perceptions du monde, proche ou lointain, visible ou invisible, et il doit aussi avoir pour fonction d’élever la conscience des hommes.
Personne ne peut nier que l’art, au cours des siècles, a transformé l’homme. L’artiste ne produit pas simplement ce qu’il voit. S’il peint un paysage, une montagne, un visage, sculpte une forme, il essaiera de montrer – tout au moins c’est ce qu’il devrait faire – à la fois la forme et la vie qui l’anime, la forme et son mouvement interne. Une œuvre d’art doit avoir un rythme, une dynamique qui donne sens. Quel que soit le sujet, l’artiste a pour rôle d’amener le spectateur à s’éveiller et à prendre conscience de choses nouvelles, car l’art est un moyen de connaissance, d’approche du monde. Une œuvre d’art suggère. Les écrits sur l’art de Kandinsky, par exemple, sont assez significatifs quant au rôle et sens qu’il donna à son travail. Ils le sont aussi pour ceux qui comprennent la fonction des formes, des couleurs ou des sons, ce qu’ils introduisent au niveau psychologique et émotionnel, et leurs impacts sur l’environnement.
Donner du sens à l’art est une intention poétique, et cela qualifie le rôle essentiel de l’art dans la vie. Car le rôle de l’art est de dépasser la banalité, d’amener le spectateur ou l’auditeur à d’autres émotions, d’autres valeurs. Les sujets de l’art doivent donc transcender le quotidien. Reproduire la réalité quotidienne sans dépasser l’anecdote et le banal, est-ce créer ? L’art, d’autre part, n’est ni un amusement ni un divertissement, il est utile à l’homme, à la société du moment où il est porteur de l’intention poétique. Une de ses principales fonctions est de permettre une approche sensible des réalités qui nous entourent. Il s’impose comme besoin pour la réflexion, comme moteur qui conduit à l’imaginaire, à la rêverie, à la transcendance. C’est pourquoi l’art accompagne les hommes depuis la Préhistoire. L’art a, par conséquent, un impact à la fois sur l’individu et la société, et il agit psychologiquement sur les êtres.
Certains d’entre nous pourraient penser que cette approche est une idée désuète à notre époque. Cependant, si nous avons conscience que les couleurs, les formes et les sons influencent nos comportements, nos tempéraments, notre psychisme par les rythmes et dynamiques qui les conduisent et conditionnent, nous comprendrons la fonction interne et externe de l’art. Si des œuvres résonnent en nous, n’est-ce pas parce qu’elles répondent, d’une part, à notre sensibilité propre, et qu’elles nous conduisent aussi en un monde sensible insoupçonné ?
Le sens de la beauté devrait être ressenti comme nécessité, une nécessité intérieure et vitale pour comprendre qu’elle est significative pour toute action humaine. Car comment une action peut-elle déboucher sur quelque chose de constructif si la beauté en est absente ? La beauté est garante du respect de la vie, du respect des valeurs humaines. D’autre part, il ne faut pas entendre par beauté une notion qui se rapporterait simplement aux sentiments, à quelque chose de mièvre, de suranné. Non ! La beauté, dans ce sens à quelque chose à voir avec une pensée héroïque et déterminée, qui rend compte du rôle fondamental des couleurs, des sons et des formes. L’art est connaissance, la beauté la révèle.
Couleurs, formes et sons sont des vibrations. Ce sont des d’énergies, et ces énergies servent à réaliser une œuvre. Une œuvre d’art est énergie et résonance. C’est aussi donner à voir ou à entendre une qualité résultant de la pensée. D’autre part, pour exister, la Matière a besoin de l’Esprit ; l’Esprit, pour se manifester, être visible dans le monde humain a besoin de la Matière. L’art s’exprime dans une grande diversité de formes, mais s’il ne porte pas une force spirituelle, existe-t-il réellement ? Sert-il vraiment à quelque chose ? Si l’on conçoit, bien évidemment, qu’il ne représente pas de simples objets pour divertir. Paul Klee tenta de définir l’art abstrait comme un « signe spirituel en confrontation d’un monde horrible ». L’art répond à un besoin essentiel dans la réalité du monde objectif, comme l’exprimèrent Wassily Kandinsky ou le compositeur Alexandre Scriabine. Leurs recherches se placent dans cette syntonie entre sons et couleurs. Il y a ce même sens, cette même approche, dans l’art cistercien, la musique de Bach ou celle de Debussy, l’art du Quattrocento, la poésie élisabéthaine ou chez les poètes romantiques anglais et allemands.
Ainsi, nous pouvons admettre que l’art contribue à une plus vaste compréhension des choses, du monde et de l’homme lui-même, et qu’il nous conduit à des expériences qui ont une autre qualité que celle que nous appréhendons quotidiennement. Nous pourrons ainsi comprendre que l’art ne peut être simplement un divertissement, mais qu’il doit être un moyen pour éclairer et transmettre des connaissances, et pour élever la conscience des hommes.