Racine et Molière au théâtre
Sophie Boulet
Retour sur Bérénice à La Scala
Le pari était risqué : Jean Racine, revisité avec audace par l’ancienne directrice de la Comédie française, et appel à Carole Bouquet qui avait déjà joué le rôle, mais à un âge plus proche de celui de Bérénice. Pari réussi, ce que l’on savait déjà après sa création, il y a quelques mois, au théâtre national de Nice que Muriel Mayette-Holtz dirige.
Adaptation singulière, osant amputer la pièce d’une heure – ce que s’autorisent de plus en plus les metteurs en scène, les représentations de plus de 4 heures ne manquant pas par ailleurs – et qui confie le rôle d’Antiochus au slameur burkinabè Jacky Ido, vedette de la série Taxi Brookyn et imagine une dernière étreinte dans la chambre de Bérénice, créant une transposition intimiste à la Harold Pinter. Mais réussite au service de l’évidence de la modernité de Jean Racine.
Plus que le triomphe de la question de la raison d’État, c’est ici celui de l’amour, avec sa passion, ses doutes, ses inquiétudes et la vertu de la séparation pour le renforcer. Réduite à l’essentiel et centrée sur le trio Titus, Bérénice, Antiochus, la pièce met en valeur la subtilité des sentiments, l’ailleurs, le non-dit. Douceur et fluidité s’installent, dans une atmosphère générale de mélancolie qui s’infiltre et adoucit les conflits.
Comme la mise en scène, le jeu des acteurs s’adapte à la singularité dans le respect de la grandeur racinienne. Jacky Ido sublime l’alexandrin et donne toute son épaisseur à la dignité d’Antiochus, le sortant du rôle secondaire où on le confine souvent. Frederic de Goldfiem, un Titus aux allures de grand patron de multinationales, joue sur l’ambiguïté, et Carole Bouquet, toute en tension et en retenue, donne à la reine de Palestine le mélange de force et de fragilité voulu par l’auteur. L’ élégance, la « classe », comme on dit.
S’ajoute la scénographie de Rudy Sabounghi, son décor épuré d’un huis clos qui s’ouvre sur des espaces où s’entremêlent de subtils jeux de lumière et de couleur, fixité et éphémère à la Edward Hopper. On est loin de Rome et de Versailles, très loin de l’emphase, très proche de Racine.
• La Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris
Le Médecin Malgré Lui à la Comédie Saint-Michel
Pour initier au théâtre de jeunes enfants, une adresse incontournable est à retenir à Paris : la Comédie Saint-Michel. Face au jardin du Luxembourg, elle a ouvert ses portes en 2008 et propose, dans sa petite salle d’une centaine de places, une programmation culturelle variée : théâtre contemporain ou classique, cabaret et one man show. Certaines créations s’adressent aux adultes, mais la plupart sont des spectacles pour jeunes enfants (avant et après 7 ans) et moins jeunes, souvent pour « tout public ». De jeunes compagnies et de nouveaux talents y font leurs premières armes et la qualité est au rendez-vous.
Nous avons vu un Médecin malgré lui, reprise d’un spectacle représenté dès 2015 dans une mise en scène d’Amélie Dhée. Comme pour Les Femmes savantes et le Cyrano de Bergerac, qui se donnent en alternance ; le spectacle est réduit à une durée d’une heure, ce qui le rend accessible. Les collégiens verront plus tard les 5 actes dans un autre théâtre…
Cette critique de la médecine et des médecins peut être adaptée de mille manières et jusqu’à l’outrance, comme le Médecin malgré lui, Los Angeles 1990 joué en Avignon cet été. Rien de tel ici. On retrouve le traditionnel Sganarelle, fainéant, alcoolique et rusé, contraint de jouer le rôle d’un savant médecin par sa femme Martine, décidée à se venger. Et son agilité pour se laisser prendre au jeu, profiter de la situation et parvenir à tromper son monde.
Amélie Dhée reste fidèle à la pièce, aux costumes d’époque, mêlant la fantaisie de la commedia dell’arte et l’aspect plus robuste de la farce à la française. Contraction dans le temps oblige, elle accélère le rythme de l’action, la truculence, l’outrance des situations et des caractères, les acteurs excellents à ce rythme enlevé au pas de charge. Frais émoulu des coups de bâton de Guignol, le jeune public est ravi et c’est sans doute pour lui la meilleure des manières pour partir à la découverte de Molière.
• La Comédie Saint-Michel, 95 boulevard Saint-Michel, 75005 Paris
Jusqu’au 28 décembre 2022
Référence : AJU006k3