Redécouvrir King Vidor
Scène de La Foule, par King Vidor.
Cinémathèque Française
King Vidor fut un géant du cinéma américain. On l’a un peu oublié. Les chaînes câblées et les plates-formes le remettent heureusement à l’honneur, après qu’en 2007 – c’est loin déjà – la Cinémathèque Française lui a consacré une rétrospective méritée. Ces temps confinés donnent l’occasion de revoir au moins trois de ses films, qui chacun illustrent la richesse de sa palette, son savoir faire, et aussi un sacré caractère…
Le Rebelle
Ce film de 1949, à part, est génial à plus d’un titre. L’histoire d’un architecte atypique Howard Roark, qui se heurte aux attaques violentes tant de sa profession que celles de la foule (la foule, thème déjà abordé dans le film éponyme de 1928). Franchement l’un des meilleurs rôles de Gary Cooper ! Il faut aussi saluer le formidable jeu de Raymond Massey, qui campe un directeur de journal amoureux de la même femme que Roark. Patricia Neal excelle dans le personnage de Dominique. Le film doit aussi sa force – outre les dialogues ciselés à l’or fin et fidèles au roman dont il est tiré – aux éclairages et aux décors presque étranges à force de n’être que gratte-ciel et architecture visionnaire… Réflexion aigüe sur le pouvoir et sur la dialectique individualisme/collectivisme, le film est d’une actualité criante en 1949, puisqu’en juillet, le Housing Act a annoncé un programme national de rénovation urbaine dans les villes américaines. Il y eut aussi un film dans le film : l’histoire de sa conception et de son tournage ne fut pas triste. Barbara Stanwick, Veronika Lake et Joan Crawford se sont battues pour le rôle de Dominique qu’elles n’auront pas, Bogart n’est pas retenu non plus, l’auteure du roman Ain Rand qui ne manquait pas de caractère exigea Greta Garbo qui déclina car, dit-on, elle ne voulait pas de scènes d’amour avec Gary. Que lui avait-il fait, était-il trop âgé ? Vidor qui lui-même était un chef ne voulut pas de Bette Davis. On ne compte plus les incidents et discussions pour arriver à mettre tout en place. In fine on a ce film… Il valait bien toutes ces disputes !
Guerre et Paix
Produit par Dino de Laurentis, sorti en 1956, on y trouve Vittorio Gassmann, pas dans l’un de ses meilleurs rôles ; c’était aussi le temps où Vittorio tenta une carrière à Hollywood mais cela ne fonctionna pas vraiment. Inspiré du livre de Tolstoï, le film de plus de trois heures fonctionne comme une fresque historique où se conjuguent batailles militaires, stratégies de combat, romances amoureuses, psychologie. Cela raconte la bataille de Russie avec un Napoléon éructant (joué par le grand Herbert Lom) et pas au mieux de son image. Le film souffre de quelques mièvreries et longueurs mais fonctionne, la production n’ayant pas lésiné sur les moyens (costumes, figurants, 8 000 chevaux…). Vidor utilise efficacement tout cela. Il a bénéficié également d’une distribution éclatante avec Audrey Hepburn, dont toutes les caméras furent amoureuses et qui joue délicieusement Natacha, une jeune aristocrate romanesque, généreuse : un portrait de femme libre. À ses côtés, l’impeccable Mel Ferrer et Henri Fonda dans une sobre et très réussie composition.
Duel au soleil
Le film sans doute le plus célèbre de Vidor. Qui ne se souvient de la scène finale ? Eros et Thanatos ont rarement été mieux mis en scène. Pearl (Jennifer Jones) avait envoûté les deux frères jouées par Gregory Peck et Joseph Cotten. Hyper colorisé et hyper maîtrisé par le producteur David O. Selznick, qui était fou de Jennifer, le film ne fut pas terminé par Vidor, évincé par Selznick au profit de Dieterle. Seul le nom de Vidor figurera quand même sur l’affiche. Ce Duel au soleil amoureux peut se voir aussi comme une métaphore sur le cinéma, selon King Vidor. Faire des films c’est se battre et ne rien lâcher. Le cinéma de Vidor parle toujours d’intégrité.