Requiem d’Anna Akhmatova

Publié le 20/05/2022

Éditions Interférences

Requiem d’Anna Akhmatova témoigne de la période « Iejovchtchina », ces années de terreur en Russie, et les poèmes qui composent ce recueil expriment la tristesse, l’attente et l’angoisse. Ils évoquent sa propre tragédie, mais Anna Akhmatova parle, à travers eux, au nom de toutes les victimes et de toutes les femmes qui, comme elle, vécurent ces moments terribles.

Comme certaines vérités pouvaient coûter la vie à ceux qui les écrivaient comme à ceux qui les lisaient, les poèmes de Requiem ne furent pas couchés sur le papier. Quand elle se trouvait avec des amis sûrs, elle prenait un morceau de papier et un crayon. Anna Akhmatova y écrivait un poème, puis elle lisait les vers, tendait le papier à l’un d’eux, qui les retenait en mémoire. Elle reprenait le morceau de papier, grattait une allumette. Le morceau de papier se consumait au-dessus du cendrier et le poème partait en fumée. C’était une sorte de rituel, et c’est ainsi que les poèmes formant Requiem furent conservés pendant des années.

Anna Akhmatova (1889-1966) est née à Bolchoï Fontan, près d’Odessa. En 1890, la famille s’installa à Tsarskoïe Selo. Ses premiers poèmes, qu’elle écrivait à l’âge de onze ans, étaient inspirés par ses poètes favoris : Ievgueni Baratynski (1800-1844) et Alexandre Pouchkine (1799-1837). Son père craignait pour la réputation de son nom de famille ; elle prit alors le nom de sa grand-mère qui était d’origine tatare. Au cours de ses études, elle rencontra le poète Nikolaï Goumiliov (1886-1921), qu’elle épousa en 1910. Le couple devient légendaire, et avec d’autres poètes, ils fondèrent l’Atelier des Poètes. Puis ils voyagèrent à travers l’Europe. À Paris, Anna Akhmatova se lia d’amitié avec Modigliani. Le couple fréquenta les clubs littéraires, comme le « Chien errant », où ils retrouvèrent tous les grands noms de la poésie russe de cette période, appelée « l’Âge d’argent ». Leur fils, Lev, est né en 1912, et cette même année parut son premier recueil, Le Soir, qui remporta un grand succès. En 1914, parut son deuxième recueil, Le Rosaire, puis un troisième en 1917, La Volée blanche.

Le 1er mars 1912, Nikolaï Goumiliov proclama la naissance d’un nouveau mouvement poétique, l’Acméisme. Ce mot tire son origine du mot grec « acmé » qui signifie « pointe, comble, apogée ». Au mois de décembre de la même année, Nikolaï Goumiliov et Sergueï Gorodetski (1884-1967) firent connaître le manifeste acméiste, qui fut publié dans le numéro de la revue Apollon de janvier 1913. Les poètes les plus importants du mouvement furent Nokolaï Goumiliov, Anna Akhmatova, Mikhaïl Kousmine (1877-1936), Ossip Mandelstam (1892-1938), Mikhaïl Zenkevitch (1886-1973), Gueorgui Ivanov (1894-1958), Vladimir Narbout (1888-1938). L’esthétique acméiste s’opposait à celle du symbolisme, alors dominant dans la poésie russe. Les acméistes revendiquaient l’utilisation d’un langage simple et concret pour rendre la dimension poétique du quotidien. Ils critiquaient le Symbolisme, qui à leurs yeux avait aspect religieux, et ils rejetaient leur aspiration à la connaissance de vérités cachées. Nikolaï Goumiliov ira plus loin en disant que les dernières œuvres des symbolistes étaient sans valeurs. Il reprochait à ses représentants de s’envelopper dans la « toge de l’incompréhensibilité ». Toutefois, si l’Acméisme s’opposait aux rêveries des symbolistes sur d’autres mondes, il ne rejetait pas pour autant leurs valeurs esthétiques, métaphysiques et éthiques universelles, dans une appréhension directe et sensuelle de la réalité. Les acméistes se réclamaient d’Alexander Pope, de Théophile Gautier, de Rudyard Kipling, d’Innokenti Annenski et du cercle des Parnassiens. Aussitôt au pouvoir, la Révolution russe mit à l’écart les acméistes, et Nikolaï Goumiliov fut exécuté en 1921 pour « agitation monarchique ». Sous la dictature stalinienne, leur situation deviendra de plus en plus précaire : exil, interdiction de publier voire mourir dans un camp comme Ossip Mandelstam.

Après son divorce d’avec Nikolaï Goumiliov, dont elle était séparée depuis un moment, elle vécut avec Vladimir Chileïko (1891-1930), son deuxième mari. Puis elle emménagea, avec son troisième mari, Nikolaï Pounine (1888-1953), dans une pièce de la maison où elle vivra jusqu’en 1952. Cette pièce se trouvait dans l’ancien palais des princes Chérémétiev, la Maison sur Fontanka, dans le centre de Saint-Pétersbourg. Dans cette maison se trouve aujourd’hui un musée qui lui est consacré.

Les nouvelles autorités, jugeant ses poèmes « socialement trop peu pertinents », Anna Akhmatova fut condamnée comme élément bourgeois et ses poèmes interdits de publication dès 1922. Elle gagna alors difficilement sa vie en traduisant Victor Hugo, Rabindranath Tagore ou Giacomo Leopardi, et en écrivant de brillants essais, notamment celui sur Pouchkine.

Au cours de la guerre, ses œuvres sont à nouveau publiées, et en 1940, elle devint membre de l’Union des écrivains. Elle témoigna du siège de Leningrad, et son poème Courage fut publié, en 1942, à la une de la Pravda. Mais après le conflit, elle fut radiée de l’Union des écrivains. Ce n’est qu’après la mort de Staline, en mars 1953, qu’Anna Akhmatova sera peu à peu réhabilitée, en réapparaissant sur la scène littéraire soviétique. En 1962, quand le poète Robert Frost lui rendit visite dans sa datcha, elle lui dit : « J’ai tout eu : la pauvreté, les voies vers les prisons, la peur, les poèmes seulement retenus par cœur et les poèmes brûlés. Et l’humiliation et la peur. Et vous ne savez rien à ce sujet et ne pourriez pas le comprendre si je vous racontais… ».

Son dernier recueil, qu’elle ne verra pas imprimé intégralement, Le Poème sans héros, sera publié à la fin des années 1980. Elle le considérait comme son œuvre majeure.

Requiem, Anna Akhmatova, traduit du russe par Sophie Benech, Éditions Interférences, 13 €, 56 p.

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