Revoir Two Weeks in Another Town

Publié le 31/03/2022

DR

C’est quoi, faire un film ? Telle pourrait être la seule question qui vaille pour un metteur en scène. Quand il s’appelle Vincente Minnelli (à quand une exposition ou une rétrospective sur ce géant du cinéma ?), que l’on est dans les années soixante et qu’il s’interroge lui-même sur sa capacité de création, ça donne le bijou qu’est Two Weeks in Another Town (Quinze Jours ailleurs). L’autre ville, c’est Rome.

Le meilleur film de Kirk Douglas ? Kirk a enchainé les grands rôles. Ici, il est d’une efficacité redoutable dans le personnage de Jack Andrus, un acteur qui sort d’une cure psychiatrique et qui vient à Rome où, Kruger, un metteur en scène (joué par un autre géant, Edward G. Robinson) tente de tourner un film. Kruger est cerné de toutes parts : des acteurs mauvais selon lui, une femme (Claire Trevor) qui le fait tourner en bourrique mais qui a de bonnes raisons de lui en vouloir, un producteur qui ne lui concède pas un jour de plus de tournage… Comment faire donc un film, un vrai ? Il n’y a pas que Kirk. Le générique est éblouissant : la souveraine Cyd Charisse (doublée il faut le dire en VF par Jacqueline Porel), Rosanna Schiaffino est excellente dans le rôle de Barzelli et George Hamilton, alors au début de sa carrière, est déjà plus qu’une promesse.

La crise du cinéma américain. C’est le propos du film. Il est sorti en 1962 aux États-Unis et un an plus tard en France. Minnelli, qui tourne ici lui-même à Rome, filme le cinéma qui est en train de se faire, ou plutôt de se défaire. À cette époque, les productions viennent s’installer à Cinecittà, reconstruite, qui attire fiscalement et financièrement les machines hollywoodiennes. Les producteurs deviennent moins regardants sur la qualité des scenari et des dialogues, arrimés à leur prévisionnel qui exige aucun dépassement. Le dialogue entre Kruger et le producteur est succulent. Le film est « minnellien » : élégant, plein de classe, soigné dans les décors comme dans le tournage en extérieurs, des dialogues au couteau, une histoire solide, des personnages crédibles, un générique de rêve… N’oublions pas la musique de David Raskin.

La fin du cinéma ? Minnelli insère dans son film des scènes des Ensorcelés, film qu’il avait tourné avec Lana Turner et un certain… Kirk Douglas. Les Ensorcelés était sorti dix ans plus tôt. Ce long-métrage parlait déjà du monde du cinéma et de ses difficultés. Film dans le film, mise en abime, Minnelli s’interroge des années après, en questionnant sa propre création. Jack Andrus regarde ces extraits avec nostalgie. On n’est pas sur le thème « c’était mieux hier », mais plutôt comment en est-on arrivé là ? En 2002, Hollywood Ending sort sur les écrans. Signé par Woody Allen, qui évoque à son tour le sujet d’un metteur en scène face aux affres de la création et de la machine hollywoodienne. Chose amusante, on retrouve 40 ans plus tard George Hamilton dans le film d’Allen.

Un an à peine après le film de Minnelli, un certain Jean-Luc Godard avait sorti Le Mépris, l’un des autres plus beaux films sur le cinéma en train de se faire ou de se perdre. Minnelli disait encore son espoir. Godard annonçait la fin. Ça ne l’a pas empêché de continuer de tourner des films.

Plan