Robert Badinter, une légende vivante

Publié le 09/09/2021

Tallandier

Voilà des années que le monde du droit, mais également les passionnés d’histoire contemporaine ou des citoyens tout simplement, attendent une autobiographie de Robert Badinter.

Mais rien ne vient…

L’homme préfère écrire du théâtre (v. Théâtre I, LPA du 11 mai 2021) ou les mémoires de sa grand-mère (Idiss, LPA du 17 janvier 2019), et les impatients d’attendre…

C’est pour répondre à cette attente et combler une curiosité tout à fait saine que Dominique Missika et Maurice Szafran, l’une historienne et documentaliste, l’autre journaliste et écrivain, ont saisi l’opportunité de brosser le portrait de cet homme.

Et quel homme, une icône, une légende vivante ?

Tour à tour avocat, professeur de droit, militant, ministre, président du Conseil constitutionnel, sénateur, écrivain… Robert Badinter est cet homme, qui a marqué l’histoire de la justice française par ses combats, un exemple pour beaucoup encore, à tel point que cette icône du droit est devenue une légende vivante.

Retraçant son parcours, de l’appartement parisien dans le XVIe arrondissement aux drames de l’Occupation et de la déportation de son père, des bancs de la faculté de droit à ceux des cours d’assises à une époque où l’on pouvait encore « couper en deux » un homme jugé coupable, aux ministères et autres grands corps de l’État, c’est tout une carrière mais aussi tout une idéologie emplie d’humanité qui parcourt ce portrait. Très bien documenté, les biographes ont eu accès à un grand nombre de documents et ont rencontré l’homme à plusieurs reprises, répondant plus ou moins aux questions, cela donne un livre qui se lit comme un roman.

On suit chronologiquement le parcours de cet homme. Orphelin de père, il trace sa route en choisissant d’exercer le droit, adoubé par Henry Torrès qui le formera, ces deux-là se retrouvent dans un humanisme intransigeant. Pour Torrès, tu es un avocat quand : « Tu défends un homme qui a tué ou volé, parce que c’est un homme d’abord » (p. 70) ! Tout est dit. Cette formation lui permet d’acquérir sa propre clientèle et de se faire un nom au palais… Il retiendra également cet aphorisme de Torrès : « La défense est une action indifférente à la personnalité de l’accusé, défendre ce n’est pas aimer, c’est aimer défendre », (p. 100).

Mais aimer défendre a un prix, et ce sont ces affaires, ces sales affaires, qui vont le conduire au petit matin du 27 novembre 1972, dans une prison, celle de la Santé, où son « client » condamné à mort doit se faire guillotiner.

Quel mot étrange et barbare encore, de là naît une obsession…

« Partisan de l’abolition, je suis devenu militant de l’abolition » (p. 106).

C’est une nouvelle mission pour lui, un sacerdoce. Ce sera son combat, procès après procès, en homme de conviction, il plaide pour éviter la peine de mort à des hommes jugés coupables. Il plaide leurs causes et cinq condamnés à mort vont voir leur peine cassée par la chambre criminelle de la Cour de cassation ; Robert Badinter gagne les uns arpès les autres ces procès, ils auront la vie sauve…

Mais en 1981, un nouveau président doit être élu. Il sait que François Mitterrand est pour l’abolition, s’il gagne, son combat n’aura pas été vain… Sinon… l’histoire ne le dit pas, car le 11 mai 1981, François Mitterrand gagne l’élection présidentielle. Robert Badinter, après quelques aléas, devient ministre de la Justice et peut soumettre son avant-projet de loi d’abolition de la peine de mort. Il en rédige lui-même le premier article : « La peine de mort est abolie », le combat d’une vie résumé en 6 mots !

Du parcours politique, on apprendra son rôle dans différents projets de loi, les tensions entre Mitterrand et les autres ministres, ce jeu subtil d’alliances, de compromis. Il se veut « missionnaire », comme investi pour : « imposer une conception humaniste de la justice » (p. 145).

Aujourd’hui, on le qualifie encore d’homme de gauche…

Tout un chapitre est consacré à cette vision de l’homme, en quoi et pourquoi il représente une figure tutélaire de la gauche, mais qu’entend-on par-là ?

Enfin, ses biographes ne passent pas sous silence certes son amitié pour François Mitterrand, mais aussi la part d’ombre que cette amitié révèle. Dans un chapitre intitulé : « Mitterrand, Vichy et les Juifs… », ils reviennent ainsi sur les troublantes révélations faites par Pierre Péan sur François Mitterrand, notamment son « amitié » pour René Bousquet, en essayant de faire réagir Robert Badinter. Mais l’homme refuse de commenter une affaire personnelle, « parce que c’était lui, parce que c’était moi », pourrait-il dire. Une amitié, cela ne s’explique pas…

Pourtant, le sujet « Bousquet » n’est pas anodin pour Robert Badinter, en effet, il faut lire sa pièce de théâtre récemment publiée, Cellule 107, mettant en scène un dialogue fictif entre Pierre Laval et René Bousquet, la veille de l’exécution de Laval, pour comprendre que le sujet n’est certainement pas clos…

Enfin, les dernières pages sont consacrées aux passions de l’homme, et Hugo en particulier. Robert Badinter collectionne tout ce qui a trait à l’homme de Lettres, qui lui aussi était un humaniste. Il a même rédigé un opéra en hommage à son auteur préféré en reprenant l’histoire de Claude Gueux, qu’il a lui-même réadapté…

Après une longue vie de combats, Robert Badinter reste un homme qui s’intéresse au monde qui l’entoure, il n’hésite pas encore à donner de sa personne, s’indigner, combattre l’injustice et réagir aux images et propos que certains peuvent aujourd’hui encore tenir. Il reste encore à 92 ans cette vigie humaniste (p. 234), cet homme juste, cette légende encore vivante.

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