Sagan au Théâtre du Marais
C’est au Théâtre du Marais, salle minuscule qui favorise la proximité avec le spectateur et ne pardonne pas la médiocrité, que Caroline Loeb incarne Françoise Sagan avec succès et talent. La tâche n’était pas simple : comment évoquer Sagan, le personnage, en se rapprochant au plus de sa personne ?
Il y a d’abord le choix du texte : le matériau provient de Je ne renie rien, publié en 2014, recueil d’entretiens accordés entre 1954, date de la sortie de Bonjour Tristesse, et 1992. Françoise Sagan s’y dévoilait encore avec ses fêlures, ses doutes (ce mot revient souvent sous sa plume), ses joies, ses drames (l’accident, l’opération), qui n’effacent pas le goût de la vie de celle qui aimait les excès. Avec cette dose de distance et d’humour dont il faut se souvenir. Elle qui n’avait pas vraiment aimé la formule de Mauriac la traitant de « charmant petit monstre » (« Évidemment je n’avais rien d’un monstre, ni charmant, ni petit. J’étais une jeune fille comme tant d’autres, j’aimais vivre, rire, danser, voir des amis, écouter de la musique, lire. Tout cela était très commun ») s’insurgeait aussi contre « la panoplie Sagan » : « La machine à écrire, d’accord. Le whisky, d’accord aussi. Les comprimés effervescents ? Je n’en prends jamais. Karl Marx, je connais très mal. Quant à l’Aston Martin, oui, j’en ai eu une et elle m’est tombée dessus… ».
Il y a aussi la mise en scène largement conditionnée par l’espace restreint de la scène.Alex Lutz, qui la signe, a réussi son coup. Un tabouret, un cendrier, un bar d’appartement, le décor est minimaliste. Les éclairages doux dessinent les ombres et les silhouettes au service d’un jeu d’actrice qui se doit d’éviter le cabotinage et le copiage. Car le danger était bien là ; vouloir ressembler à Sagan, la mimer ou pire la singer. Rien de tel ici. C’est évidemment pour cela que c’est réussi.
Il y a donc enfin et surtout Caroline Loeb, à la diction parfaite, qui s’empare du texte (et de Sagan) avec humilité et conviction. Parfois on aimerait que le rythme soit un peu moins rapide, que les paroles nous tiennent plus longtemps en suspens, pour nous laisser encore mieux porter par la gravité ou la légèreté des mots. Mais l’essentiel est ailleurs. L’actrice nous fait très vite entrer dans le monde et la tête de Françoise : le ton, le timbre, la gestuelle qui occupe l’espace, soft mais efficace, ne sont pas pour rien dans cette performance. Caroline Loeb reste à sa place tout en servant Sagan. Parfait équilibre.
Après le spectacle, dans la crêperie d’à côté, Caroline a ôté sa perruque blonde. Elle reçoit derrière une table pour une signature. Le moment est simple. On peut recevoir la dédicace où sous le titre Je ne renie rien, l’actrice écrit : « Moi non plus ».