Sur les ailes du chant

Publié le 12/03/2019

Erato

Puisée à un recueil de textes italiens traduits en allemand, la thématique de l’Italienisches Liederbuch de Hugo Wolf est celle des diverses facettes du sentiment amoureux : le désir, la déclaration d’amour, le dépit, la plainte, les piques ironiques aussi, ou encore des attitudes liées aux soucis domestiques. Au fil de courtes mélodies qui sont des moments où s’épanchent les émotions, les confidences souvent. Une véritable carte du Tendre en musique ! L’économie de moyens est le maître-mot. Rarement a-t-on rencontré matériau si concentré. Le chant est plus proche de la récitation en musique, une manière de récitatif, que de la mélodie proprement dite. Car priorité est donnée au texte. La voix ne suit pas la ligne de piano, comme chez Schubert par exemple. Cette partie de piano n’en est pas moins importante. Elle est même le pivot de l’œuvre, assurant l’essentiel du matériau thématique. Le ton est celui de la tendresse ou de la colère rentrée, du mordant ou de la résignation. Tout, ici, est retenue, même si le théâtral pointe parfois, et les grands climax sont rares. Les 46 mélodies sont distribuées à deux voix, d’homme et de femme. L’ordre d’exécution n’est pas gravé dans le marbre et Hugo Wolf n’avait d’ailleurs pas définitivement fixé les choses. Les interprètes ont le choix de l’organiser. Diana Damrau et Jonas Kaufmann proposent leur propre combinaison, intéressante en ce qu’elle tente d’installer une sorte de dialogue.

Des pièces chantées par Diana Damrau, on est séduit par la beauté intrinsèque du soprano lyrique au large ambitus. Comme par l’engagement de l’interprète : la vraie diseuse, comme sa devancière Elisabeth Schwarzkopf. Les pièces de genre qui manient le piquant ou l’ironique, sont dramatisées avec naturel, humour et une belle bravoure vocale. La couleur du mot, elle le sent d’instinct. La voix de ténor convient idéalement pour lui donner la réplique. Le timbre mordoré de Jonas Kaufmann fait mouche, dont le ténor s’assombrit, là où Fischer-Dieskau allégeait celui de son baryton déjà naturellement clair. Les passages tendus dans le haut du registre bénéficient grandement de cette tessiture. La déclamation est d’un parfait naturel et le texte toujours d’une grande lisibilité, quel que soit le ton abordé. Comme celui de la douceur : on succombe au charme du beau charmeur. Et on découvre aussi un talent de conteur imitateur. Les pianissimos filés côtoient les aigus brillants, les « pppp » envoûtant les fières interjections. En un mot, une paire fort bien achalandée qui se place haut dans l’histoire interprétative d’une œuvre qui comptait déjà des tandems légendaires. Et qui avec d’autres atouts, livre une exécution de référence actuelle. Mais il faut sans doute parler d’un trio. Le pianiste Helmut Deutsch, grand connaisseur du Lied allemand, règne ici en maître, épousant les innombrables facettes de l’âme poétique du dernier Wolf. C’est lui qui assure l’épine dorsale de cette interprétation. On ne sait qu’admirer : limpidité du geste, atmosphère alternant délicatesse et trait virtuose. Et peut-être surtout simplicité apparente rendue par un jeu souverainement maîtrisé.

S’il est un domaine particulier de la production de Jacques Offenbach, c’est bien celui du répertoire de soprano colorature, ce type de voix qui fascine. Un art qui ne tient pas seulement à l’aspect pyrotechnique mais encore à la conduite de la ligne de chant, et est aussi celui de la demi-teinte dans l’orchestration. Le mérite du CD de Jodie Devos est de proposer un florilège exhaustif d’airs de ce type, extraits de plusieurs de ses œuvres. Ainsi des pièces bouffes, souvent peu connues, où les joutes virtuoses empruntent à la valse ou à la romance mélancolique, comme le pimenté Vert-Vert, Les Bavards, ou encore l’opéra-bouffe-féérie Le Roi Carotte.

Les œuvres plus installées dans la postérité également. Ainsi d’Orphée aux enfers et de l’invocation d’Eurydice « La mort m’apparaît souriante ». C’est le cas encore de pièces plus sérieuses. Tel Fantasio, où est sollicitée une voix plus centrale, celle du soprano lyrique. Il y a bien sûr le personnage d’Olympia des Contes d’Hoffmann et le fameux air « Les oiseaux dans la charmille ». Jodie Devos s’y révèle magistrale par une originale différentiation dans la répétition des traits colorature, en termes de rythme et de dynamique. Partout elle triomphe des difficultés de ces airs périlleux, de sa technique éblouissante. La vocalise est assumée de manière brillante mais sans effet factice. On admire encore la justesse de ton et l’esprit dont elle pare ces tirades, qui font sens au-delà de leur aspect de pure virtuosité vocale. Elle est accompagnée par Laurent Campellone, un habitué de ce répertoire, qui sait trouver le juste ton, lui aussi, et possède la délicatesse et le flair pour jouer ces musiques loin d’être décoratives.

LPA 12 Mar. 2019, n° 143e7, p.15

Référence : LPA 12 Mar. 2019, n° 143e7, p.15

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