Sur les bords de la Tamise

Publié le 23/03/2018

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Trahisons

« Trahisons » d’Harold Pinter, l’une des pièces intimistes du prix Nobel de littérature, fut créée à Londres en 1978, puis mis en scène, en France, en 1962. Le thème du trio boulevardier : le mari, la femme et l’amant est ici renouvelé par une construction originale faite de retours sur le passé et de dialogues subtils (les scènes à trois sont exceptionnelles), hésitant entre le non-dit et le trop dit. Une fois de plus l’auteur traite de l’incommunicabilité entre les êtres et de sa fatalité. Il le fait à sa manière : sentiments forts mais camouflés par la bonne éducation, l’intelligence, le manièrisme épuré.

Emma dirige une galerie de tableaux, son mari, Robert, est éditeur, un couple uni avec enfants comme celui de Jerry, agent littéraire et meilleur ami de Robert. Depuis cinq ans, Jerry est l’amant d’Emma, ils ont loué un studio où ils se retrouvent les après-midis. La pièce s’ordonne entre le début et la fin de leur liaison sauf qu’ici c’est la fin qui commence le spectacle et le début qui le clôt. Emma a organisé une brève rencontre avec Jerry, qui va leur permettre de remonter le passé en une série de neuf tableaux en commençant par leur rupture lorsque, lasse et peut-être lié à un nouvel amant, elle rend les clés du studio et en descendant le temps année par année : rencontres dans le studio, voyages à Venise, jeu de squash pour les hommes, la pièce s’achevant par la première rencontre, un coup de foudre, au cours d’une soirée.

Rien de plus banal en apparence, sauf qu’une question vient tout compliquer : en dépit de toutes les précautions du duo, le doute s’était installé chez les deux amis. Jerry cherchera à savoir sans trouver de réponse si et depuis quand Robert était au courant. Et Robert cherchera à savoir sans trouver de réponse quelle était la nature des liens entre son ami et sa femme. Quant à elle, le doute ne l’affecte pas car elle s’ingénie à le semer avec une certaine perversité. L’atmosphère est au chic, à la retenue, au snobisme, on est chez des intellectuels et ce doute, qui est au cœur de la pièce, est le visage caché et douloureux de la jalousie. Robe-Grillet n’est pas loin.

La pièce n’est pas facile à monter car elle requiert une grande subtilité dans la mise en scène et le jeu des acteurs. La représentation donnée au Lucernaire à l’automne 2017 avait été une réussite qui a conduit à la poursuivre un an plus tard et on peut espérer qu’elle donnera lieu à de nouvelles reprises. La mise en scène de Christophe Gand met en valeur l’entrecroisement de sentiments ambigüs entre désirs et frustrations, égoïsme et besoin de l’autre, vérités et mensonge. L’idée du maître d’hôtel devenu accessoiriste, le virevoltant Vincent Arfa, afin de mettre en place les neuf décors différents par le simple déplacement des meubles, donne de la vivacité à l’ensemble. Quant aux trois acteurs ils jouent avec une certaine retenue et distanciation qui convient à l’ambiguïté de la pièce. Gaelle Billaut-Danno est une Emma conquérante envers et toute fragilité, mêlant sensualité et distinction. La légèreté un peu superficielle compensée, par une véritable émotion, est bien rendue par Yannick Laurent et François Feroleto donne à Robert toute la force du personnage le plus énigmatique de la pièce.

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Le cercle de Whitechapel

Toujours Londres mais ici dans le sombre quartier de Whitechapel, où des intellectuels de haute stature ne s’embarrassent pas de sentiments délicats car ils ont une mission bien précise à remplir. Ils ont été convoqués pour démontrer l’impossibilité du « crime parfait » et la difficulté est grande car il s’agit de découvrir l’identité de Jack l’éventreur, ce tueur en série de prostituées, provocateur et insaisissable qui nargue la bonne société de l’époque victorienne.

Dans ce but, un membre de la gentry, Sir Herbert Greville, décide de réunir autour de lui une équipe d’enquêteurs peu ordinaires pour découvrir le coupable et il fait appel à Arthur Conan Doyle, romancier encore jeune et timide mais déjà maître de l’investigation rationnelle, à un journaliste qui deviendra bientôt un dramaturge célèbre : George Bernard Shaw, au directeur d’un des plus prestigieux théâtres de Londres : Bram Stoker, célèbre par son « Dracula », ainsi qu’à l’une des premières femmes médecins de l’époque, Mary Lawson.

L’idée est amusante, la pièce bien ficelée, les comédiens pleins d’énergie. On peut regretter un excès de frénésie bruyante qui tire le spectacle vers la vaudeville. Mais après tout le public aime bien et c’est l’essentiel.

 

 

 

 

 

LPA 23 Mar. 2018, n° 134x7, p.22

Référence : LPA 23 Mar. 2018, n° 134x7, p.22

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