Tempête en juin et Suite Française

Publié le 04/11/2019

Théâtre La Bruyère

Irène Nemirovsky, née à Kiev en 1903, avait gagné la France après la Révolution russe et mené à Paris une vie mondaine et insouciante, devenant un auteur de romans à succès dans les années 1930. Arrêtée avec son mari Michel Epstein en juillet 1942 dans le Morvan, elle meurt du typhus après quelques semaines de détention à Auschwitz, où son mari trouvera la mort en novembre. Leurs deux filles survivent, mais ne se décident que tardivement à faire revivre l’œuvre de leur mère, dont le roman inachevé Suite française recevra le prix Renaudot à titre posthume en 2004.

L’écriture, toute en vivacité et finesse, prend volontiers un tour satirique et moqueur, ce qui lui donne un charme singulier. C’est une observatrice perspicace des mœurs de son époque et du comportement des Français, dans une époque troublée, celle des premières années de ce qui est d’abord une « drôle de guerre ». C’est aussi un regard ironique sur la condition humaine, ironie sans méchanceté, qui n’épargne pas le comportement de certains juifs affairistes, ce qui lui valut d’être l’objet d’une polémique confuse, venant surtout des États-Unis.

Virginie Lemoine, qui adapte et met en scène depuis quelques années des pièces de qualité, dit avoir été frappée par la découverte d’Irène Nemirovsky : son regard incisif, lucide, empreint d’humanité, la richesse de son style, son univers proche de celui de Tchékhov. Elle rencontrera Denise Epstein, la fille aînée, âgée de 82 ans, qui l’autorise à adapter les œuvres au théâtre, ce qu’elle fera, en montant d’abord Le bal. Elle présente ici deux tomes du roman Suite française, écrit en 1942 dans la France occupée ; l’œuvre devait en comporter cinq, mais restera inachevée. On peut voir ces deux spectacles isolément ou à la suite.

Le premier Tempête de Juin est le récit picaresque de l’exode lorsqu’en juin 1940, à la suite des bombardements allemands sur la capitale. Les Parisiens fuyaient dans le plus grand désordre en train, en voiture ou à pied, toutes classes sociales confondues. Une peinture satirique de la société française et un regard aigu sur les événements tragiques qui s’annoncent… Pour incarner cette quarantaine de personnages, Franck Desmedt, qui a pris la direction du théâtre de La Huchette, réussit une performance de virtuose. Seul en scène durant plus d’une heure, conteur impénitent, il adapte – à un rythme rapide – sa voix et ses gestes à la diversité des caractères et des comportements, et donne au grand texte d’Irène Nemirovsky tout son éclat et sa sensibilité.

Le second spectacle, Suite française, est un spectacle à plusieurs personnages. Dans une belle demeure d’un village de Bourgogne, la propriétaire Madame Angelier est contrainte d’accueillir un officier de la Wehrmacht. Son fils unique est prisonnier de guerre, et elle manifeste une haine absolue à l’égard de l’Allemagne et des Allemands. Mais sa belle-fille Lucille, tombe sous le charme du bel officier, courtois, artiste, plus délicat que son mari volage. Le conflit avec sa belle-mère est de plus en plus tendu. Deux autres femmes ont un rôle important : la bonne à la personnalité affirmée et la femme du maire ralliée à la politique de Vichy qui, habilement, tirent le pathétique vers le comique. L’adaptation et la mise en scène de Virginie Lemoine et Stéphane Laporte allient rigueur et subtilité et le quatuor de femmes est fort bien défendu par le jeu de Béatrice Agenin, marâtre inflexible, de Florence Pernelle, et surtout par les deux personnages secondaires Emmanuelle Bougerol et Guilaine Londez, irrésistibles, au service de ces assauts du burlesque dans les plus grandes tragédies, qui a fait le succès du roman.

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