Tentations, l’appel des sens
Si Paris et les grandes villes possèdent des musées connus et réputés, les cités plus modestes n’en sont pas pour autant dépourvues. Il en est ainsi du musée municipal Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône qui fête ses 15 ans avec une exposition évoquant les cinq sens.
Les œuvres proviennent pour la plupart de plusieurs donations au musée, pas moins de 670 tableaux, par les collectionneurs Muguette et Paul Dini, et réalisées en majorité par des peintres de la région Rhône-Alpes. Le musée d’Orsay s’associe à cette présentation avec le prêt de plusieurs toiles et sculptures.
Représenter les sens a intéressé les artistes depuis l’Antiquité ; au Moyen Âge et à la Renaissance, ce thème est exprimé par des symboles. Disparu aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce sujet réapparaît au XIXe mais les peintres reprennent l’iconographie dans un tout autre esprit : volupté, sensualité, tendresse autant que la découverte d’un ailleurs, d’où la variété des compositions.
Le parcours débute avec des tableaux « Grand genre », en opposition au petit genre : paysages, natures mortes. Les sujets traités sont le plus souvent bibliques ou mythologiques : C’est Le Bien et le Mal, d’un grand raffinement sur fond d’or, de Victor Orsel, à l’inspiration classique. Une sorte de théâtralité apparaît chez Henri-Léopold Lévy avec Hérodiade. Orphée a inspiré plusieurs peintres : Firmin Girard ou Jean-Baptiste Poncet, aux œuvres rappelant Ingres, et l’on s’arrête devant Paolo et Francesca, sculpture de Rodin d’une intense présence. C’est aussi l’Hétaïre jugée et acquittée grâce à la beauté de son art, œuvre de José Frappa.
Viennent ensuite les interprétations des sens en éveil avec une somptueuse nature morte de Charles Jules Nestor Bavoux, composition pyramidale aux multiples fruits et légumes. Simon Saint-Jean, François Vernay proposent des toiles naturalistes tandis que Timoléon Lobrichon préfère l’allégorie. Chacun affirme une virtuosité, attire la gourmandise. Parmi ces œuvres opulentes, on apprécie également la sobriété des Œufs, le rendu des pots en grès, des œufs sous une lumière subtile d’Antoine Vollon. Pour évoquer l’ouïe, les peintres choisissent un moment musical intime ou des instruments : la fanfare réaliste d’Antoine-Jean Bail, ou la composition d’une belle ordonnance d’Eugène Baudin, et encore une musicienne remplie de grâce avec sa harpe réalisée par Ernest Hébert. Un peu de malice dans Madame reçoit où Rémy Cogghe peint les domestiques écoutant à la porte, et encore la fort intéressante femme assise à sa fenêtre perdue dans ses songes, presque une intrusion dans son intimité, par Pierre Beppi-Martin. Un univers indéfini avec Le Regard, œuvre de tendresse mêlant temporel et spirituel dans un flou harmonieux d’ocre et de terre comme sait le réaliser Eugène Carrière, qui traduit le toucher comme François Guiguet.
Pierre Beppi-Martin, Regard sur la ville, 1911, h/t, 46,2 x 55 cm, Lyon, Musée des Beaux-Arts, inv. B 977.
Lyon MBA / Photo Alain Basset
Fleurs odorantes, épanouies, traduisent l’odorat : Paul-Hippolyte Flandrin, avec un portrait féminin symboliste et raffiné ; l’on est sous le charme de L’Allégorie du printemps, jeune fille discrètement sensuelle imaginée par Louise Abbéma. Au XIXe siècle, le corps féminin est en vogue, le pinceau semble effleurer la chair avec Henri Regnault, Carolus-Duran ou Albert Fourié qui peint une nudité dans la nature ouvrant la voie au Déjeuner sur l’herbe de Manet.
La tentation de l’ailleurs est forte : Italie, Maghreb, ainsi que la découverte de l’alpinisme, ainsi les compositions de Gustave Doré ou Jean-Baptiste Carpeaux avec des effets de crépuscule. Paul-Louis Bouchard restitue avec Les Almées l’atmosphère sensuelle, orientaliste.
Cette exposition révèle que la tentation permet de multiples interprétations.