Trois pièces au Théâtre de Poche-Montparnasse
Sont ici réunis trois spectacles représentés au Théâtre de Poche Montparnasse. Les deux premiers ont comme auteurs des passionnés et orfèvres des mots. Mais si le Pour un oui ou pour un non est un modèle d’économie et d’épure, La nuit juste avant les forêts est, au contraire, un déluge verbal intarissable.
Pour un oui ou pour un non
Dans sa sixième pièce, la plus aboutie, Nathalie Sarraute conte une histoire de mots et une histoire d’amis. C’est, écrit joliment Léonie Simaga qui la met en scène, « l’histoire de trois syllabes qui détruisent deux amis ». Avec l’acharnement d’un policier, l’un d’eux veut savoir pourquoi ces trois syllabes et leur intonation ont causé une telle déflagration chez l’autre. Dès le début, une étrange tension s’installe qui ne faiblira pas et qui naît de ces mots ordinaires et aussi des silences. Les personnages s’effacent devant les mots, l’action et l’intrigue sont secondaires. Une intrigue insignifiante construite autour de la petite phrase.
La pièce, remarquable, est un classique de la littérature française et c’est toujours un bonheur de la voir reprise sur une scène. Léonie Simaga a choisi une mise en scène fidèle qui se libère d’une épure à première vue froide et intellectuelle en donnant une épaisseur charnelle et émotionnelle aux personnages. Tout reste allusif et virtuel et se conjugue à l’interrogatif : ont-ils vraiment été amis, lequel a raté sa vie, mais qu’est-ce que rater sa vie ?, pourquoi chercher une réconciliation ?… « Ce n’est pas du tout deux personnes qui s’entredéchirent et qui se haïssent, mais c’est deux personnes qui portent chacune des tendances opposées comme ça arrive à chacun de nous », disait Nathalie Sarraute. Les deux comédiens, Nicolas Briançon et Nicolas Vauve, ont toute la subtilité requise pour mener ce duel à fleuret moucheté dont les seules armes sont les mots. Et l’on quitte la salle ragaillardi par tant d’intelligence, de finesse et d’esprit.
La nuit juste avant les forêts
La nuit juste avant les forêts est le plus long monologue halluciné du théâtre de Bernard-Marie Koltès, qu’il a écrit à l’âge de vingt-huit ans, une pièce de la solitude absolue, de la révolte, du cri comme celui du tableau d’Edvard Munch. Elle avait été représentée en off à Avignon en 1977 et on fit valoir la singularité d’un écrit de 64 pages sans ponctuation. Pendant une heure et demie, les mots tout aussi simples que précédemment s’entrechoquent, mais ils déferlent ici en une avalanche qui semble ne pouvoir s’arrêter.
Une banlieue, cette « saloperie de quartier », la pluie, la nuit, le désir d’une chambre d’hôtel, les « cons d’en bas », un syndicat international, une pute, une petite blonde, des loubards, quelques souvenirs qui reviennent en boucle, ces no man’s land qu’affectionne l’auteur. La tendresse aussi et tous ces mystères à découvrir et préserver pour ne pas passez à côté « des choses essentielles ». Un seul acteur mais deux personnages car le garçon, l’étranger, qui vocifère s’adresse à un inconnu. « J’ai cherché quelqu’un qui soit comme un ange au milieu de ce bordel et tu es là », résume Koltès, et cet ange pourrait être un enfant ou une imagination du solitaire.
Le petit prince de notre théâtre contemporain a écrit un fort beau texte, avec sans doute quelques longueurs dues à l’emprise des obsessions. Il exige de la part du comédien qui soliloque sans reprendre souffle pendant près d’une heure et demi une vraie performance.
Elle est accomplie par un jeune comédien, Eugène Marcuse, qui a fait ses premières armes dans ce même théâtre, remarqué par Philippe Tesson qui l’avait engagé dans son spectacle de cabaret musical Le bœuf sur le toit. Il est tout à fait remarquable, tant par sa diction qui, sans une seule faute, donne tout son chatoiement au texte de Koltès, que par sa gestuelle très particulière, celle d’un danseur, parfois même d’un contorsionniste à la silhouette sculptée par Giacometti. Performance pour un nouveau venu au théâtre qui a osé se confronter à un tel défi au rythme, d’une mise en scène nerveuse et maîtrisée de Jean-Pierre Garnier.
Les amoureux de Shakespeare
Tout à fait différent est le nouveau spectacle donné par la troupe Les Mauvais élèves qui, après avoir réussi une première comédie déjantée, Les amoureux de Marivaux, renouent avec leur manière originale de revisiter les grands classiques de la littérature. La troupe réunit quatre jeunes comédiens, par ailleurs chanteurs, qui se sont rencontrés dans un cours de théâtre et qui ont jeté aux orties les conventions pour ragaillardir des textes classiques que l’on respecte intégralement par ailleurs.
Il s’agit ici du Songe d’une nuit d’été, qui se prête bien à ces fantaisies loufoques dans une ambiance sixties où interviennent les Beatles, les Kinks, les Troggs et où l’on use sans modération des bouffonneries et de l’humour décalé. Beaucoup d’énergie, d’entrain, de complicité, de talent. Il est vrai que ces jeunes potaches insoumis : Valérian Béhar-Bonnet, Elisa Benizio, Bérénice Coudy et Antoine Richard, ont de bons maîtres : Shirley et Dino, qui mettent en scène leur spectacle avec leur sens particulier de la poésie déjantée et de toute façon euphorisante.