Un ami et une autorité

Publié le 16/08/2023

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) fut nommé en 1846 bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, parues en 1861. Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des lettres. Nous poursuivons cet été la publication de la Lettre XII consacrée aux « Traductions ».

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« Quelques-uns trouveront sans doute que j’ai cité un trop grand nombre de choses qui méritaient peu de l’être, tandis que d’autres penseront que je n’ai pas mis en dehors assez d’éditions splendides, surtout assez d’éditions rares, c’est-à-dire de ces livres qui, tant par un prix exceptionnel que par une exceptionnelle rareté, sont appelés à figurer dans quelques réunions de livres exceptionnelles. Non, si jamais vous avez été à Twic­kenham, ne continuez pas de lire ceci. Ma bibliothè­que est une bibliothèque pratique, une bibliothèque destinée à être lue sans cesse, une bibliothèque juste milieu : enfin c’est ma bibliothèque, et j’ai connu force véritables amateurs qui s’en seraient aussi bien accommodés que moi.

Cela établi, une fois de plus, je passe à quelques articles épisodiques qui s’y rattachent, comme, à la guerre, on procède à des expéditions plus ou moins utiles, sans trop perdre de vue son quartier général. Agréez, etc.,

P. S. Voilà que je viens de lire, Madame, dans une lettre de d’Alembert à Voltaire, 4 mai 1762, que les trois mille verbes bien conjugués, que j’ai toute ma vie entendu attribuer à Domergue, sont de l’abbé Dangeau. « Il en arrivera ce qu’il pourra, lui faisait-on dire en montrant son bureau, dans le temps d’Hochsttet et de Ramillies, j’ai là-dedans trois mille verbes bien conjugués. »

Ma foi, mon siège est fait ; ensuite il est tellement convenu dans le monde des anecdotes, que le dire est de Domergue, qu’il ne me paraît pas impossible qu’il n’ait bien répété le mot comme citation, ou plaisante ou sérieuse (car il était homme à prendre la chose au sérieux) ; ainsi, au lieu de modifier le début de ma lettre, je me borne à ce petit post-scriptum ».

Lettre XIII : De Boze

« Madame, il est, vous le savez, des noms qui sont à peine connus des gens du monde, que les érudits ne pro­noncent point sans quelque respect, et qui réveillent toujours, chez ceux que leur rattache une certaine conformité de goûts, de secrètes sympathies. Celui de Boze est assurément un de ces noms. En effet, même parmi les personnes qui ne sont pas tout à fait sans lettres, bien peu sans doute ont trouvé sur leur chemin un savant modeste, occupé toute sa vie de matières que n’accompagnent jamais ni une grande popularité ni un grand retentissement. Eh bien ! Il est pourtant une classe d’hommes pour qui de Boze est à la fois un ami et une autorité. » (À suivre)

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