Un artiste qui admire le monde

Publié le 19/07/2021

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps.

La Vénus du Titien.

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« Ces ébauches faisaient l’admiration des amateurs et des artistes. Ensuite, ajoute Palma, il retournait ses tableaux contre le mur et les y laissait parfois quelques mois sans les regarder, puis, lorsqu’il voulait y appliquer de nouveau le pinceau, il les examinait avec une rigoureuse attention, comme s’ils avaient été des ennemis mortels, pour voir s’il leur pouvait trouver des défauts. Et, à mesure qu’il découvrait quelque chose qui ne fût pas d’accord avec sa délicate conception, il médicamentait le malade comme un bon chirurgien, sans pitié pour lui, soit qu’il fallût arracher quelque tumeur ou excroissance de chair, soit qu’il fallût redresser un bras ou remettre en place une articulation… En attendant que ce tableau fût sec, il passait à un autre, recouvrant chaque fois de chair vive ces extraits de quintessence, les achevant à force de retouches, jusqu’à ce qu’il ne leur manquât plus que le souffle. Il ne fit jamais une figure du premier coup, ayant l’habitude de dire que l’improvisateur ne fait jamais un vers savant ni bien rythmé.

Un travailleur de cette trempe resta donc toujours un artiste ; tout ce qu’on peut dire, c’est qu’à la différence de Michel-Ange, il ne fut qu’un artiste. De bonne heure absorbé par les préoccupations de son métier, trouvant dans les splendeurs de la nature et dans les réalités de la vie des joies assez intenses pour n’avoir point besoin d’en chercher dans le rêve, aussi indifférent à la philosophie qu’à la politique, acceptant, en vrai Vénitien, les choses telles qu’elles paraissent et les hommes tels qu’ils sont, il ignora les nobles inquiétudes et les hautes aspirations du Florentin. Sous tous les rapports, le contraste est frappant entre ces deux grands hommes qui, après la mort prématurée de Raphaël, restèrent, durant un demi-siècle encore, vis-à-vis l’un de l’autre, également vigoureux et convaincus, également personnels et laborieux, se partageant entre eux l’admiration du monde ». (À suivre)

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