Un atelier d’orfèvrerie néo-grecque

Publié le 08/09/2023

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé:  Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous reprenons sa publication, consacrée au faux en tout genre, en feuilleton de l’été.

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« En entrant au musée impérial de l’Ermitage, on est ébloui par d’incomparables objets, la plupart en or, d’une beauté d’exécution, d’une souplesse de style absolument uniques. Ils proviennent des fouilles exé­cutées dans la région du Bosphore, dans les ruines des villes grecques de Crimée ou de l’ancienne Cher­sonèse, dans les sépultures barbares qui abondent sur les bords du Don. À côté de cet entassement de merveilles, on ne voit plus rien, ni les antiquités étrus­ques ou romaines, ni les statues, ni les vases antiques, dignes cependant des plus beaux musées de l’Europe. Le visiteur n’a d’admiration que pour ces fabuleux bijoux qui donnent une si haute idée du génie grec dans les arts appliqués. Pour conserver aux musées impériaux d’aussi pré­cieuses découvertes, les fouilles en Russie sont étroi­tement surveillées. Mais comment interdire aux paysans les coups de pioche clandestins ? Comment empêcher les marchands de colporter leurs trouvail­les et les amateurs de les acheter ? Des antiquaires réalisèrent des bénéfices sérieux. Le succès les allé­chant, ils utilisèrent les moindres débris trouvés dans cette Tauride mystérieuse où Gluck fit gémir la tou­chante Iphigénie. Puis, comme il arrive toujours, après avoir réparé, reconstitué et complété, ces bons marchands en arrivèrent à créer de toutes pièces. Un véritable atelier d’orfèvrerie néo-grecque, où les faus­saires collaboraient avec des érudits expérimentés et des épigraphistes compétents, s’établit dans la Russie méridionale.

Un des premiers produits de cette singulière ma­nufacture fut un plat d’argent au repoussé, représen­tant, dans le creux, une scène de sacrifice, et sur le marli, une frise de palmettes en forme de coquilles. Offert à Rome, vers 1894, au comte Tyszkiewicz, il lui parut suspect. L’amateur en refusa l’acquisition. Peu à peu, cependant, les industriels se perfection­nèrent. Mettant à profit le Corpus des inscriptions d’Olbia, pillant les planches de nombreux ouvrages d’archéologie, ils firent voir le jour à des objets plus remarquables. Un masque d’or, avec dédicace de Pan­taclès, fils de Cléombrotos, un diadème, reprodui­sant le dessin d’un vase antique, plusieurs paires de sandales en or, furent achetés par le musée de Cra­covie, sans compter les bijoux de petites dimensions, bracelets, bagues, boucles d’oreilles, vendus à divers amateurs. En peu de temps, s’écoulèrent ainsi quatre cent mille roubles de néo-orfèvrerie. » (À suivre)

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