Histoire curieuse des ivoires

Un bénitier du XIe siècle (II)

Publié le 25/07/2016

On parle beaucoup de l’ivoire, depuis qu’un ministre a envisagé dans un élan tout écologique, d’interdire son commerce sans faire de nuance entre les objets contemporains issus du trafic lié au massacre des éléphants, et les œuvres d’art médiévales ou de la Renaissance. Il reste que les contrefaçons dans ce domaine n’ont jamais épargné cette manière. Nous poursuivons la lecture de l’ouvrage de Paul Eudel (1837-1912) Truc et truqueurs au sous-titre évocateur : « Altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées » dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907.BGF

« Resté seul, M. Bligny se sent pris de soupçons. Le nom du vendeur ressemblait vaguement à celui d’un quidam intimement lié avec un marchand du quartier de l’Opéra dont les journaux ont raconté les démêlés avec la justice. Simple coïncidence, peut-être. N’importe, M. Bligny commence à avoir, comme on dit, la puce à l’oreille. Pour trouver quelques points de comparaison avec son bénitier, il ouvre les Annales archéologiques de Didron.

Ô surprise ! L’article Ivoire, à la table, le renvoie à un bénitier de la cathédrale de Milan, reproduit dans l’ouvrage sur ses deux faces et savamment commenté par Alfred Darcel. C’est le modèle de celui de Perez ! Le vol est patent. Mais comme l’acquéreur n’a pas encore le certificat d’authenticité, il met dans une armoire le bénitier et le livre de Didron, et ne souffle mot de ses soupçons. Il entame même de nouvelles affaires avec Perez, jusqu’au jour où il réussit à se faire délivrer la garantie promise. Dès lors, suffisamment armé, il part à la campagne, se réservant de commencer les hostilités à son retour.

En octobre, M. Bligny rentre. Il ouvre le tiroir et présente l’objet au grand jour. Il est méconnaissable. L’ivoire a pris une couleur marron foncé, les fentes se sont agrandies, la moisissure le recouvre, il exhale une odeur insupportable d’acide sulfurique. Il n’y a plus à douter. Les procédés chimiques de maquillage ont continué leur effet. L’objet est faux, archi-faux. Comme on le pense, un expert consulté ne fait que confirmer cette conclusion. On retrouve même le modèle en bronze chez Barbedienne, en grès cérame chez un brocanteur, en cuivre chez un autre.

Quand on n’aime pas à être trompé, il n’y a plus qu’à déposer une plainte. M. Bligny le fait, au plus vite, en se portant partie civile. Le juge d’instruction opère et, tout d’abord, fait prendre à Perez le chemin du dépôt. Voilà l’histoire, ou plutôt son premier chapitre, car l’Italien, remis en liberté, n’est, paraît-il, qu’un intermédiaire. Il accuse un tiers de lui avoir donné à vendre un objet qu’il savait faux. Celui-ci s’en défend. Qui dit la vérité ? Le tribunal le décidera sous peu ».

Après les ivoires si malmenés, nous nous penchons sur les bronzes. Ils sont le résultat d’un alliage de cuivre, d’étain et de zinc (et parfois d’autres métaux) en proportions variables utilisé en sculpture et pour la décoration et connu depuis la plus haute Antiquité. Il est à noter que le bronze utilisé en sculpture contient du plomb. Ces œuvres sorties des mains d’artistes les plus renommés sont particulièrement recherchées par les collectionneurs. De quoi attirer les faussaires. Paul Eudel s’est naturellement penché sur l’histoire parallèle des bronzes :

« En 1892, deux statuettes de bronze, d’une patine admirable, parurent sur le marché de Paris et mirent en émoi tous les collectionneurs. Sujet : Adam et Eve. Auteur : Riccio. Elles étaient si belles, que les connaisseurs les plus réputés ne s’élevaient pas contre cette attribution à l’un des maîtres les plus exquis de la Renaissance italienne. Eve tenta bien vite. Le pauvre Adam fut d’un placement moins facile. Il fit le voyage de Londres et frappa aux portes du British Museum et de plusieurs collections privées. Personne ne voulut le retenir. Il revint sur les bords de la Seine, où Louis Courajod, conservateur-adjoint de la sculpture au Louvre, l’acheta 40 000 francs pour son musée ».

(À suivre)

LPA 25 Juil. 2016, n° 118h3, p.22

Référence : LPA 25 Juil. 2016, n° 118h3, p.22

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