Un bouquet de sonates pour violon et piano

Publié le 09/03/2023

Deutsche Grammophon

Ce CD est la captation d’un concert donné en avril 2022 au Festival de Pâques d’Aix en-Provence. Renaud Capuçon, directeur artistique de la manifestation, avait convié Martha Argerich pour une séance de sonates. Le frisson du live, le sens de l’événement, rarement a-t-on ressenti une telle entente : plus que deux musiciens d’exception jouant ensemble, la simple véracité de la musique, à travers un choix de partitions essentielles du répertoire violon-piano. La Sonate N° 1 op. 105 de Schumann flatte la tessiture grave du violon, souvent loin de la brillance que procure le registre le plus aigu, au long de ses trois mouvements. Le premier partage son premier thème lyrique avec des élans fulgurants. Scherzo qui ne dit pas son nom, l’Allegretto hésite entre phrases poétiques et capricieuses, entrecoupé par deux trios, l’un tendre, l’autre plus tendu. Le vif finale évolue dans une sorte de perpetuum mobile où les deux interprètes sont souvent à l’unisson. La complicité entre Capuçon et Argerich est totale, même si le violoniste reconnaît être influencé par le jeu de la pianiste.

Leur exécution de la Sonate N° 9 « Kreutzer » op. 47 de Beethoven respire une sorte d’évidence. Sans doute bénéficie-t-elle de l’adrénaline du concert. Le second thème Presto du mouvement initial est pris d’étincelante façon à un tempo plus que soutenu. Mais la course qu’on pourrait croire effrénée est en réalité hautement maîtrisée. Le développement, où l’on sent la fabuleuse maîtrise d’Argerich, emporte tout sur son passage, conduisant le violoniste à se dépasser. La coda ne laisse pas toucher terre jusqu’à cette modulation finale d’une si grande douceur que conclut une pirouette prestissime. À l’Andante con variazioni, l’air entamé par le piano offre au violon une sublime entrée en matière. Alors que les deux voix s’unissent dans la plus belle harmonie, les variations vont déborder de fantaisie, menée par le piano bondissant d’Argerich (N° 1), de climat lumineux grâce au violon solaire de Capuçon, nanti d’une jolie accélération dans le récit (N°2). La réflexion légèrement mélancolique de la 3e, dans son ambitus large au piano, laisse au violon de Capuçon matière à s’enflammer. Le piano reprend les opérations à la 4e variation sur des pizzicatos du violon, tandis que celui-ci s’empare de la mélodie gorgée de trilles aventureux, d’un naturel confondant. La dernière variation renchérit en profondeur abyssale sous les doigts d’Argerich pour installer avec les trilles du violon un chant sublime. Le final Presto, débuté par un accord franc de la pianiste, sera un feu d’artifice de bout en bout. Son thème guilleret s’égrène dans la plus grande limpidité à un tempo mené tambour battant. Cela respire la joie de laisser à entendre la musique à son meilleur.

L’interprétation de la Sonate en La mineur de Franck est emplie de contrastes et d’une rare beauté plastique. Argerich débute l’Allegretto ben moderato dans un tempo retenu, sorte de défi au violoniste qui doit tout donner de son phrasé legato jusqu’au basculement dans une allure plus allante imposée par un clavier bien sonnant. C’est tout l’art de Capuçon de maintenir l’intensité, de la « prendre » à sa partenaire dans ce moderato voulu par le compositeur, ici presque pris à la lettre. À l’Allegro suivant, les choses s’enflamment du coté de la pianiste, mais vite le violoniste s’approprie-t-il le discours élégiaque et cantabile. La récapitulation se nourrit d’un feu crépitant, poussant Capuçon à se dépasser et la coda ose un tempo tumultueux. Le Recitativo Fantasia nous fait gravir lentement quelque sommet et atteindre le Nirvana de la fabuleuse mélodie menée par le violon souple, idéalement timbré sur tout le registre, sur l’accompagnement doucement berçant du piano. Les deux voix ne sont plus qu’une dans cette musique de l’âme. L’Allegretto poco mosso final s’enroule naturellement, tout de simplicité. Lorsque le débit s’anime, les deux partenaires prennent des risques calculés. Et la péroraison est rien moins que glorieuse.

• Robert Schumann : Sonate pour violon et piano N° 1 op. 105

• Ludwig van Beethoven : Sonate pour violon et piano N° 9 « Kreutzer », op. 47

• César Franck : Sonate pour violon et piano en La mineur

• Renaud Capuçon (violon), Martha Argerich (piano)

• 1 CD Deutsche Grammophon

Plan
X