Ce que disent les notes

Un conte cruel : Le Coq d’or

Publié le 04/04/2017

Le Coq d’or, opéra de N. Rimski-Korsakov.

Opéra national de Lorraine

Nicolaï Rimski-Korsakov ne verra pas créer de son vivant son dernier opéra, Le Coq d’or, qu’il achève en 1907. Ce qui est en apparence un conte populaire, tiré de Pouchkine, cache en réalité une fable peut-être pas si innocente, que va faire revivre un astrologue. Le vieux et belliqueux tsar Dodon s’ennuie et ne pense qu’à jouir d’une vie tranquille, en particulier avec ses voisins. L’astrologue lui propose un moyen imparable : un coq d’or, perché en haut de la flèche du palais, l’avertira de tout danger. Plus tard, séduit par une princesse orientale, la reine de Chemakha, Dodon veut en faire sa femme. Mais lorsque l’astrologue demande son dû pour services rendus, il se voit éconduire et transpercer par le sceptre royal. Alors le coq d’or fond sur le monarque et le tue d’un coup de bec. Sous les rires de la reine qui disparaît. Épilogue : l’astrologue vient tirer la morale de la fable, seuls lui et la reine étaient des personnages vivants. On se doutait que la lecture dramaturgique de Laurent Pelly débusquerait ce que le librettiste Bielski considérait déjà comme « une mauvaise farce » qui fait des hommes des pantins, et de ceux qui les manipulent les vrais personnages clairvoyants de l’histoire. Replacée dans le contexte politique de l’époque — les troubles qui agitaient la Russie depuis 1905, l’isolement du tsar Nicolas II —, cette fable prend une résonance singulière. L’opéra n’avait-il pas été censuré lors de sa publication ? La mise en scène est acérée et la vision bien sombre, à l’image de la décoration noir / blanc / gris, et de ce gigantesque lit où se complait Dodon, lequel est au dernier acte sanglé sur un char d’assaut sur fond de populace braillarde. Belle idée que la corne d’abondance géante visualisant la tente de la reine Chemakha, d’où elle émerge telle une star. Une direction d’acteurs, rigoureuse, grinçante, scrute les caractères : un astrologue mielleux, une reine plus piquante qu’aguicheuse, deux tsarévitch sales gosses, un tsar nonchalant, dont le pyjama comme attribut vestimentaire réduit singulièrement, et trop explicitement, l’aura. Et bien sûr, un coq plus vrai que nature, superbe oiseau de feu mû par une danseuse. Des traits aussi perspicaces que caustiques truffent le récit. Comme une scène de séduction à l’envers, la femme menant le jeu, qui tourne à l’hypnose, au point que son bénéficiaire en tombe à terre de bonheur. Le traitement de la partie chorale est pareillement léché, comme la retraite à la manière de soldats de plomb du deuxième acte. La charge sarcastique n’est pas loin.

Musicalement, le spectacle est accompli, encore qu’on reste un peu sur sa faim devant certaines prestations. En particulier Vladimir Samsonov, dans le rôle de Dodon, pivot de l’intrigue, manque de projection et de creux dans la basse. Son général d’armée Polkan, Mischa Schelomianski, lui dame le pion en termes de volume sonore. Yaroslav Abaimov est un astrologue fielleux à souhait, mais doit lutter contre la quinte suraiguë redoutable du registre de ténor altino, si consubstantiel au répertoire russe, et Svetlana Moskalenko n’est pas toujours à l’aise avec les arabesques périlleuses de la reine Chemakha, non plus que la soprano Inna Jeskova qui doit, de la coulisse, rendre perçante la terrible phrase colorature assignée au coq. La direction de Rani Calderon rend justice à une musique étincelante, d’un lyrisme comme scintillant. Elle en traduit aussi la belle architecture, peut-être un peu trop soulignée par endroits par une battue un peu sèche. Surtout, le système des leitmotive qui caractérisent si finement chaque personnage est soigneusement mis en valeur. Les musiciens de l’Orchestre symphonique de Nancy, ne méritent que des éloges. Comme les chœurs maison qui, outre une belle habileté à se couler dans les mouvements façon automates imaginés par Laurent Pelly, montrent une réelle empathie pour l’idiome russe.

LPA 04 Avr. 2017, n° 125g2, p.16

Référence : LPA 04 Avr. 2017, n° 125g2, p.16

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