Un goûter en Pologne (1/2)

Publié le 02/01/2024

Victoria frissonne et referme son épais manteau, tout en étant ballottée dans le traîneau qui l’emporte dans le parc.

BGF

La maison est prête, enfin presque, pour profiter au mieux de Noël. Le sapin est dressé dans le salon bleu, entre la console et le grand bureau à cylindre. La crèche occupe tout l’intérieur de la cheminée. Seule la mangeoire sur laquelle sera déposé l’Enfant-Jésus par Victoria, la plus jeune des petits-enfants, le matin du 25 décembre, est encore vide. Le bœuf et l’âne prennent des forces en mâchouillant des brins de paille, se préparant à Lui donner de la chaleur, lorsqu’il naîtra. Tous les personnages sont dans l’attente ; devant les bergers, les moutons sont pressés par les chiens, le ravi n’a pas encore levé les bras, le meunier s’apprête à saisir un sac de farine, Saint Joseph s’appuie sur sa crosse, la Vierge Marie se sent un peu lasse. C’est la seule de tous les santons qui a pris une position de repos. De l’autre côté de la cloison parviennent des chants de Noël. C’est une tradition, l’oncle Édouard passe en boucle ses Christmas songs rapportés des États-Unis et de Grande-Bretagne.

Grand-Mère a aidé des enfants à disposer des guirlandes et des boules tout autour du sapin, même sur la commode. Elle a orné la rampe de l’escalier de branches de sapin. Victoria, le nez contre la vitre de la fenêtre, contemple le ciel gris et les branches nues des marronniers qui se balancent mollement. Les feuilles s’en sont allées, bousculées par les coups de vent. La petite fille se retourne et, boudeuse, demande à sa grand-mère : « Pourquoi, il n’y a pas de neige à Noël ? » Son aïeule lui fait un sourire tout en lui caressant la joue. Victoria se blottit contre elle. Sa chevelure toute blonde et fournie se confond avec les plis de la robe de l’adulte. Sans attendre sa réponse, l’enfant poursuit : « C’est pas juste, il n’y a de la neige que dans les histoires de Noël que raconte Oncle Édouard ! ». Elle lève machinalement la tête et croise le regard de la dame du portrait. Vous savez, celle que l’on surnomme la Polonaise, une arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère, si lointaine que l’on ne compte plus les arrières. « Je m’en souviens, tu avais raconté son histoire à Aliénor et à Philippine. Tu leur avais dit qu’en hiver, là-bas en Pologne, elle faisait des promenades en traîneau dans les bois et les forêts. J’aurais beaucoup aimé…

– « Sais-tu ce que nous allons faire, Victoria ? 

–  Non, dis-le-moi…

– Nous allons penser très fort à cette lointaine grand-mère et l’appeler tout bas. Te souviens-tu qu’elle s’appelait Elisabeth, comme moi ? »

La petite fille ferme les yeux, pose ses mains sur ses paupières et murmure : « Elisabeth, Elisabeth ! » Mais elle n’entend rien, sinon, comme une petite musique, des cloches ou des grelots qui rythment une image, qui s’impose peu à peu à elle. Un vent frais gifle son visage, elle frissonne et referme son épais manteau, tout en étant ballottée dans le traîneau qui l’emporte dans le parc. Le crissement des patins sur la neige se mêle aux craquements sourds provoqués par les sabots du cheval lancé en plein galop. Le cocher, assis derrière elle, fait claquer son fouet, davantage pour jouer que pour exciter le cheval, ravi par cette promenade qui conduit la petite fille vers un pavillon où elle est attendue. (À suivre)

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