Un homme raisonnable, philosophe même !

Publié le 20/07/2022

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Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) est qualifié, dans les dictionnaires, de bibliographe français. En 1846, il fut nommé bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. Une charge qui était justifiée. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, ouvrage paru en 1861. Ce livre se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (« la comtesse de Ranc… » [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des Lettres. Nous reprenons cet été la publication de la Lettre XI consacrée au « Cabinet de M. Turgot ». BGF

« On a dit, on a écrit, on a imprimé que l’abbé de Caveirac avait fait tout exprès une apologie de la Saint Barthélemy. Vous verrez dans le monde des milliers de personnes qui en sont persuadées de bonne foi, et qui regarderaient comme le plus téméraire de tous les hommes, celui qui oserait en douter. Cependant prenez la peine de chercher le livre de cet auteur si indignement et si injustement avili. Vous vous convaincrez d’abord que la Saint-Barthélemy n’était pas son principal objet. Il a fait un ouvrage plein de force, de lumières et de vérité sur l’expulsion des protestants au siècle dernier, et sur les motifs qui ont pu y déterminer Louis XIV et son conseil. Ce n’est qu’à la fin qu’il a joint une dissertation de soixante-trois pages, sous le simple titre de Dissertation sur la journée de la Saint-Barthélemy, à laquelle je ne vois pas trop qu’on ait répondu.

Ensuite, si vous lisez ce petit ouvrage, vous serez étonné de n’y trouver qu’un homme raisonnable, humain, philosophe même, qui combat un préjugé (celui que la religion eut part aux meurtres de la Saint-Barthélemy) ; qui pourrait avoir tort dans le fond, sans qu’il fût possible de lui faire le moindre reproche dans la forme ; enfin, qui n’a point cherché à justifier cette abominable catastrophe dont on le suppose le panégyriste, qui a tenu à ce sujet le langage d’un cœur compatissant et d’un esprit éclairé.

On peut répandre, dit-il en commençant, des clartés sur les motifs et les effets de cet événement tragique, sans être l’approbateur tacite des uns, ou le contemplateur des autres. Quand on enlèverait à la journée de la Saint-Barthélemy les trois quarts des horribles excès qui l’ont accompagnée, elle serait encore assez affreuse pour être détestée de tous ceux en qui tout sentiment d’humanité n’est pas entièrement éteint. Et c’est l’homme qui parle ainsi, que l’on déclare l’apologiste de la Saint-Barthélemy, que l’on flétrit sous ce prétexte, dont le nom peut-être ne sera transmis à la postérité qu’avec les qualifications affreuses et plus iniques encore dont on l’a accablé ! ». (À suivre)

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