Un label audacieux
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À l’heure où l’industrie du disque classique connaît une crise sans précédent, les « petits » labels se font une place au soleil. Ainsi en est-il d’Aparté, dont les parutions se distinguent tant par leur originalité que par leur qualité artistique et technique. Le CD Pygmalion est de ceux-là. Rameau compose l’acte de ballet Pygmalion en 1748 en s’inspirant d’un livret du poète Antoine Houdar de La Motte, La sculpture, sur un sujet tiré des Métamorphoses d’Ovide. Où il est question de l’amour impossible que le sculpteur Pygmalion éprouve pour la statue qu’il vient de réaliser. Amour donnera bien sûr vie à la statue avant que tous rendent hommage aux dieux puissants et Pygmalion célèbre son bonheur retrouvé. Cette œuvre est calquée sur le genre du ballet à entrées, comme Les Indes galantes ou Les Fêtes d’Hébé, mais l’originalité est ici qu’il s’agit d’une pièce autonome. L’Ouverture en deux parties se distingue par la seconde, un fugato en notes répétées qui semblent imiter les ciseaux du sculpteur. Suivent, au fil des cinq scènes, des airs majestueux et des danses aussi imaginatives (la sarabande pour la statue) que séduisantes (pantomime niaise et un peu lente). Christophe Rousset et son ensemble des Talens Lyriques insufflent une vie resplendissante à ces pages où l’on remarque le rôle dévolu à la flûte. Des quatre chanteurs, Cyrille Dubois se tire la meilleure part, de son timbre clair de haute contre à la française, orné de vocalises accomplies. Le disque comprend encore la suite d’orchestre des Fêtes de Polymnie, un ballet héroïque cette fois, destiné à célébrer la victoire de Fontenoy en 1745. Rameau faisait équipe, pour la première fois, avec le librettiste Louis de Cahusac. Là encore, une Ouverture en deux parties, presque figurative – un crescendo symbolisant l’acte de création – précède diverses danses et airs, en particulier des menuets gracieux et d’éloquents passepieds avant de conclure sur un « Air fort gai ». Rousset et ses musiciens en livrent toute la richesse.
Dans un tout autre registre, sont proposées deux pièces attachantes de Tchaïkovski : le Sextuor à cordes Souvenir de Florence et le 1er quatuor à cordes. L’auteur de la Symphonie Pathétique a aussi écrit magistralement pour le répertoire chambriste. Le quatuor Op. 11 date de 1871, alors qu’il enseigne au conservatoire de Moscou. L’œuvre se distingue par son second mouvement andante cantabile, inspiré d’une mélodie populaire ukrainienne, d’un lyrisme tout en retenue, comme une rêverie. Débuté par un moderato simplice dont l’intimisme laisse apparaître quelque mélancolie, il comprend un scherzo en forme de danse populaire dont la verve cède à un climat schumannien, le trio contrastant peu mais révélant une écriture recherchée. Le finale est coloré et entraînant, là encore sur un motif dansant qui assure la rythmique du mouvement. Le jeune Novus Quartet en livre une exécution limpide et profondément structurée. Tchaïkovski publie son Sextuor à cordes vingt ans plus tard, alors qu’il compose La Dame de Pique. C’est peut-être en hommage au travail sur l’opéra, commis à Florence, que la nouvelle œuvre porte le sous-titre de Souvenir de Florence. De ses quatre mouvements, l’auteur dira que « le premier doit être joué avec beaucoup de feu et d’entrain. Le second, chantant. Le troisième, facétieux. Le quatrième, gai et décidé ». Les Novus, auxquels se sont joints Ophélie Gaillard et Lise Berthaud, ont compris le message.
On saluera encore la fort plaisante découverte que constitue A british promenade, un florilège de pièces pour harpe. Peut-être influencés par la renaissance de l’école de harpe française au début du XXe siècle, à moins que ce ne soit pour s’inscrire dans la tradition folklorique d’un instrument qui doit beaucoup Outre-Manche à son origine celtique, les compositeurs britanniques ont beaucoup dispensé ses envoûtants mélismes. Comme Eugène Goossens, Cyril Scott, Grace Williams ou Benjamin Britten. Sa Suite pour harpe Op. 83 (1969), en ses cinq parties, s’articule autour d’un troublant Nocturne et ses voluptueux arpèges. La harpe peut aussi être associée au violoncelle comme chez Granville Bantock ou Edmund Rubbra. Ou faire équipe avec la voix de ténor. Ainsi du Canticle V Op. 89 de Britten, sur un poème de T. S. Eliot, relatant la mort de Saint Narcisse : se substituant au piano, la harpe y instaure un climat magique. Ou des 5 Poèmes Op. 89 de Lennox Berkeley flattant une atmosphère archaïque et doucement mélancolique au fil de courtes strophes alternant lent et vif. Sandrine Chatron est l’interprète inspirée de ces pages merveilleusement éloquentes. Comme le sont le ténor Michael Bennett et la celliste Ophélie Gaillard.