Un rare patron

Publié le 09/09/2022

Paolo Gallo/AdobeStock

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Dans cet ouvrage, Georges Lafenestre décrit le Titien et les princes de son temps. BGF

« Dans cette circonstance, comme dans bien d’autres, l’intervention de l’Arétin avait failli gâter l’affaire. On ne s’expliquerait même pas que Titien y eût désormais si fréquemment recours si l’on ne connaissait par ses contemporains sa bénignité, son indulgence, son amour du repos et son goût pour l’argent, en même temps que l’infatigable activité, le génie d’intrigue, la souplesse cynique de son habile compère.

Quoi qu’il en soit, la cordialité de ses rapports personnels avec le marquis n’en fut pas altérée. Toutes les lettres qu’il lui adressa respirent une vive reconnaissance exprimée en termes simples et bien différents des formules obséquieuses dont il se servira plus tard vis-à-vis des monarques espagnols. Parmi ses protecteurs princiers, c’est Frédéric Gonzague qui semble lui avoir inspiré le plus d’affection, celui dont le jugement lui ait paru le plus précieux ; il l’appelle souvent son vrai, son rare patron, padrone singolarissimo. Il faut dire qu’il en reçoit sans cesse des cadeaux en nature et en espèces, et des attentions et faveurs « continues et infinies ». En 1530, il a pour lui trois tableaux sur le chantier, son Portrait, une Vierge avec sainte Catherine, des Femmes au bain. Il travaillait alors aussi pour sa mère Isabelle ; c’est à ce moment qu’au mois d’octobre 1529, Charles Quint et Clément VII s’étaient donné rendez-vous à Bologne pour y régler le sort de la malheureuse Italie. La conférence se prolongea jusqu’au mois de mars de l’année suivante. Est-ce à ce moment que Titien fut présenté à l’empereur ? On n’en a point de preuves, mais ce qu’on sait, c’est que son aimable patron, le marquis de Mantoue, qui joignait à ses qualités d’amateur éclairé l’habileté d’un diplomate ambitieux, se montra des plus empressés auprès du vainqueur ; en échange de son humilité, il obtint bientôt le titre de duc. Francisco de Los Cobos y Molina (1477-1547), le premier secrétaire d’État, l’avait beaucoup servi dans cette affaire. Il paraît que ce ministre, dont la passion pour les œuvres d’art ressemblait fort à une avidité mercantile, s’était, dans l’intervalle de ses travaux politiques, laissé tourner la tête par les charmes d’une dame d’honneur de la comtesse Pepoli, une certaine Cornelia ». (À suivre)

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