Une aiguille dans la terre
Les bronzes sont utilisés en sculpture et pour la décoration et connus depuis la plus haute Antiquité. Ces œuvres sorties des mains d’artistes les plus renommés sont particulièrement recherchées par les collectionneurs. De quoi attirer les faussaires. Il reste que les contrefaçons dans ce domaine sont nombreuses. Elles ont alimenté et continuent d’alimenter le marché de l’art, car elles ne cessent de circuler. Nous poursuivons la lecture de l’ouvrage de Paul Eudel (1837-1912) : Truc et truqueurs, au sous-titre évocateur : « Altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907.BGF
« Un savant italien a proposé d’employer l’aiguille aimantée pour reconnaître l’âge de ces terres cuites, qui contiennent plus ou moins de fer dilué. Je vous donne le procédé pour ce qu’il vaut, mais je préférerais m’en rapporter à la touche du maître, assez facile à reconnaître pour un œil exercé. Un certain quidam, bien connu, que je ne nommerai pas pour ne pas amoindrir le sculpteur du même nom, s’est attaché à ces bustes « genre Clodion », dont il vend les épreuves fort chères, lorsqu’un mouleur, à sa dévotion, les a bien patinées selon la formule. Il fait ainsi des Marie-Antoinette, des Pompadour ou des princesses de Lamballe, qui se dressent sur des socles de marbre dans les cabinets des collectionneurs nouvellement entrés dans la carrière.
Je soupçonne fort certaine Dubarry, de patine flasque, très décolletée, la tête tournée à droite, qui orne la cheminée d’un hôtel de la plaine Monceau, d’être du même acabit. Mais je ne puis l’affirmer, car son heureux possesseur certifie avoir tous ses papiers (j’aimerais mieux un enfant naturel qui n’aurait pas d’état civil régulier). Il a payé ce buste, épreuve unique, 1 800 francs. Sans le tenter ; on lui a offert d’ajouter un zéro. Je ne sais si c’est une illusion d’optique, mais un endroit écaillé laisse apercevoir du blanc. Ne serait-ce pas tout bonnement un plâtre transformé en terre cuite ? Il y a, de par le monde, rue des Saints-Pères, un magicien nommé Caussinus, dont le pinceau aux habiles caresses produit ce résultat.
Gare aussi aux refaits ! Des médecins orthopédistes pour terres cuites savent compléter l’incomplet. Certain buste de ma connaissance a passé par l’hôpital des restaurateurs. Il représente un magistrat avec sa perruque et son rabat. Le personnage est inconnu, mais il a fière allure. Par malheur, le masque seul est ancien. On l’a posé sur des épaules modernes, et, pour cacher l’ajustage, on a simulé une restauration au col.
Avez-vous vu les quatre Clodion de la rue de Bondy ? Ce sont des bas-reliefs incrustés au deuxième étage d’une maison devant laquelle, du reste, on ne s’arrête guère. Des femmes personnifient les saisons. Elles sont à demi couchées dans une pose gracieuse et nonchalante. Près d’elles, des amours lient des gerbes de blé, tressent des guirlandes, allument le feu d’un brasero ou boivent le jus de la treille. Clodion avait sculpté ces plaques pour la façade d’une maison que possédait un membre de sa famille, mais elles étaient devenues de trop grande valeur pour rester à leur place. Il y a plus d’un quart de siècle, elles passèrent à l’hôtel des ventes et furent réparées par le sculpteur Cruchet pour orner le salon de l’hôtel du comte Pillet-Will. Maintenant les originaux sont rue du Faubourg Saint-Honoré, les copies au n° 54 de la rue de Bondy, les moules au musée du Trocadéro et de nombreuses copies un peu partout.
Je ne sais si vous êtes comme moi, mais j’adore les Nini [Giovanni Battista Nini, dit Jean-Baptiste Nini, né à Urbino en mars 1717 et mort le 2 mai 1786]. Quel artiste prodigieux ! Il peut rivaliser avec Houdon, Pajou et Clodion. Il est l’expression la plus aimable du règne de Louis XVI. Nul mieux que lui n’a su, avec le fini un peu précieux de l’époque et par des poses pleines de grâce, donner du charme à ses modèles. Sa série de médaillons est, dans l’ensemble, l’apothéose de la femme ».
(À suivre)