Une Danaé réaliste
Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Nous poursuivons cet été la description qu’il en fit de Titien et les princes de son temps.
Le Titien, Danaé, via Wikimedia Commons
« Charles Quint emporta dans sa « pieuse retraite » trois portraits et six tableaux religieux. « Parmi ces derniers se trouvait la Trinité, pour laquelle, peu d’instants avant sa mort, il ajouta un codicille exprès à son testament, voulant qu’on fît mieux encadrer cette belle peinture et qu’on la plaçât, en souvenir de lui, sur le maître-autel du couvent.
À partir de 1555, c’est avec Philippe II que Titien correspond. Les archives de Simancas ont conservé, en grand nombre, les minutes des lettres royales et les réponses du peintre. Philippe II y montre pour Titien la même affection et la même admiration que son père. La plupart des autographes du peintre sont annotés de sa main, et, dans ses réponses, il s’occupe des moindres détails avec la minutie pointilleuse d’un bureaucrate expérimenté. C’est à Augsbourg, en 1545, que Titien avait fait un premier portrait de Philippe, âgé de vingt-quatre ans, en cuirasse d’apparat, chausses et hauts-de-chausses de soie blanche, celui qui se trouve au musée de Madrid. La richesse des accessoires et la beauté du coloris y faisaient un peu oublier ce qu’il y avait de triste et de dur dans ce visage ingrat. Deux ans après, lorsqu’il fut question du mariage de Philippe avec Marie Tudor, la reine Marie, sa tante, ne crut pouvoir mieux faire, afin de décider l’Anglaise, que de lui envoyer cette peinture, sous la condition expresse de la lui restituer lorsqu’elle aurait le bonheur de posséder l’original. La vieille princesse tomba, en effet, extraordinairement amoureuse de son jeune fiancé sur le vu du tableau, qu’elle rendit consciencieusement, en 1554, après les noces. Pendant les longues négociations qui précédèrent ce mariage, Philippe avait fait de nombreuses commandes à Titien. Le maître lui avait d’abord expédié en Espagne, avec des tableaux de dévotion, une Danaé plus réaliste que la Danaé des Farnèse ; au moment du départ de Philippe pour l’Angleterre, il était en train d’achever une Vénus et Adonis.
La correspondance qu’ils eurent à ce sujet nous édifie à la fois sur la générosité du jeune monarque, lorsqu’il rencontrait un artiste soumis à ses désirs, et sur la facilité avec laquelle sa dévotion mêlait à des pratiques superstitieuses le goût des nudités provocantes. » (À suivre)
Référence : AJU014n6