Une Diane trop fréquente
Les bronzes sont utilisés en sculpture et pour la décoration et connus depuis la plus haute Antiquité. Ces œuvres sorties des mains d’artistes les plus renommés sont particulièrement recherchées par les collectionneurs. De quoi attirer les faussaires. Il reste que les contrefaçons dans ce domaine sont nombreuses. Elles ont alimenté et continuent d’alimenter le marché de l’art, car elles ne cessent de circuler. Nous poursuivons la lecture de l’ouvrage de Paul Eudel (1837-1912) Truc et truqueurs, au sous-titre évocateur : « Altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées » dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907.BGF
« Qui n’a pas son petit plâtre ? Hélas ! trop de monde en a ! Les naïfs, les badauds, les faux amateurs, se sont laissé prendre à ces truquages grossiers. Ils ont acheté, comme épreuves originales, de grossiers surmoulages où le mouvement général de l’œuvre est seul conservé, mais où tous les détails sont empâtés, déformés, écrasés. Le tour est facile à jouer. Ces industriels transalpins se mettent à trois ou quatre pour acheter un bronze. Puis ils le moulent et obtiennent autant de creux en gutta-percha qu’il leur en faut pour leur petit commerce. Ceci fait, ils revendent le bronze qui leur a servi de modèle, sans trop y perdre, et ils se partagent les moules, prêts à tirer des centaines d’épreuves en plâtre plus ou moins bonnes qu’ils recouvrent de poudre de cuivre délayée à la mixture.
Allez donc les poursuivre ! Ils sont insolvables, et quand un sculpteur arrive à les traquer, le tribunal lui octroie cinq francs de dommages et intérêts. Pas même de quoi payer l’huissier. Le maître Falguière, excédé de rencontrer sa Diane à tous les carrefours, résolut cependant, un jour, de passer outre et de se livrer à une battue en règle de pifferari. Il promit une prime de 50 francs à toute personne qui le mettrait sur la piste d’un fraudeur. Cela ne fut pas long ! En huit jours, on lui dénonça dix mouleurs clandestins qu’il eut la satisfaction de faire condamner aux cinq francs d’amende traditionnels. Il paya sans marchander les dix primes promises. Seulement, au cours des débats, il apprit que les Macaronis s’entendaient entre eux pour se dénoncer. Ils payaient cinq francs d’amende, mais ils se partageaient 50 francs de prime. Falguière arrêta le petit commerce.
L’imitation, depuis quelques années, s’est perfectionnée. Le truquage a monté en grade. On peut avoir, maintenant, dans plusieurs magasins de Paris, patinés avec des vernis de gomme laque, les reproductions du Louvre et d’autres musées. Imitation de bois : les têtes des Sept péchés capitaux ; imitation de terre cuite : le Tanagra bien connu tenant une amphore et rattachant sa chlamyde ; imitation de bronze : Phryné devant l’aréopage et le vase exquis d’Houdon ; imitation de pierre : une des gargouilles de Notre-Dame ; imitation d’ivoire : la réduction de la Vénus de Milo.
Laissons ces maquillages grossiers, bons tout au plus pour la hotte du chiffonnier, et arrivons aux contrefaçons bien autrement dangereuses de la terre cuite. En 1889, j’étais chargé d’organiser, au Trocadéro, les expositions des salles du XVIIIe siècle.
Un marchand bien connu présente deux sphinx en terre cuite avec des têtes de femme aux cheveux relevés à la Dubarry, revêtus de la patine du temps. Le ban et l’arrière-ban de la curiosité qui composaient la commission d’organisation, s’exclament : « C’est superbe ! Du Pigalle ou du Houdon ! ». Je hochai la tête, sans rien dire. Seul, je ne partageais pas l’enthousiasme général. « Il faut mettre, dirent les plus autorisés, ces deux sphinx de chaque côté de la porte ». Sitôt dit, sitôt fait. On plaça, sur des socles, les deux gardiennes, à l’entrée des collections du XVIIIe siècle. À l’inauguration, le président Carnot s’arrêta devant les sphinx allongés et les regarda longuement. « C’est bien ! dit-il à M. Larroumet, le directeur des Beaux-Arts, qui l’accompagnait. S’ils sont à vendre, vous pourriez peut-être y songer pour nos musées ».
(À suivre)