Une douzaine de cuillères

Publié le 21/01/2022

Fraysse & Associés

Rien ne ressemble plus à un pot qu’un confiturier. Sinon qu’on le reconnaît à son fond plat, à sa forme de tronc de cône renversé, à son couvercle plat et son manque d’anse. Cela défini, le confiturier peut être plus ou moins galbé et être monté sur un plateau central. On en trouve en cristal et surtout en porcelaine, dont la plupart sort de manufactures comme celles de Sèvres, Vincennes ou Chantilly. Ce qui est surprenant car, selon le Vocabulaire typologique des objets civils et domestiques (1984), le mot « confiturier » est seulement apparu à la fin du XIXe siècle, et ne figurait pas encore dans le Dictionnaire de l’Académie française. Ce dernier s’est rattrapé, car dans sa dernière édition, la 9e, il indique qu’il s’agit d’un « petit récipient destiné à servir les confitures » et date le mot du XVIe siècle. Les « Immortels » n’ont pourtant pas abandonné la définition qu’ils avaient donné dès la première édition de 1694, précisant que « confiturier » était « celui qui vendait de la confiture ».

Revenons à l’objet lui-même, qui peut être pourvu d’encoches accueillant des cuillères à manche plus ou moins long, disposées verticalement. L’un de ces modèles et douze cuillères en argent, de forme balustre, posant sur un piédouche circulaire, orné de moulures à décor de grecques, feuilles d’eau et rais-de-cœur ciselé de feuilles lancéolées et de griffons, les anses en forme de cygnes surmontant chacun un masque de femme à l’Antique ; le couvercle à doucine, la prise en forme de graine ; gravé d’un monogramme dans un écu, a été adjugé 2 300 €, à Drouot, le 8 décembre 2021 par la maison Fraysse & Associés, assistée par Marie de Noblet. Le confiturier lui-même, dont l’insculpation date de 1801, est marqué par le poinçon de l’orfèvre Martin-Guillaume Biennais (1764-1843). Ce dernier fut l’orfèvre attitré de Napoléon Bonaparte. Quant aux cuillères, dont les insculpations furent effectuées entre 1798 et 1809, il est malaisé de lire sur onze d’entre elles, le ou les poinçons d’orfèvre, au contraire de celui de Louis-Antoine Drouard, reçu maître en 1784.

Ce terme « confiture », cette « préparation à base de fruits coupés ou entiers que l’on fait cuire longtemps avec du sucre », selon l’Académie française, serait entré dans notre vocabulaire au XIIIe siècle. Avec une certaine moquerie, Georges Duhamel (1884-1966) l’a évoqué dans ses Fables de mon Jardin (Mercure de France, 1936). Il y rapporte la visite de l’économiste le jour où il faisait des confitures de cassis, de groseille et de framboise. L’homme lui explique qu’il a tort de faire ses confitures, que c’est une coutume du Moyen Âge, que, vu le prix du sucre, du feu, des pots et surtout du temps passé, il avait tout avantage à manger les bonnes conserves venues des usines. Et le narrateur de lui répliquer : « Ici, monsieur, nous faisons nos confitures uniquement pour le parfum. Le reste n’a pas d’importance. Quand les confitures sont faites, eh bien ! Monsieur, nous les jetons ».

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