Une épave retrouvée
Ce tableau retrouvé de Jean-Léon Gérôme, L’Épave, est estimé 80 000/120 000 €
Daguerre
Le mythe de la pièce cachée, oubliée dans une maison, voire un appartement fermé depuis des lustres, fait toujours frissonner d’aise. Une fois découverte, l’on se demande quel trésor il recèle. Il y a quinze ans, un appartement parisien figé depuis 1939 fut ainsi ouvert. C’était le Château de la Belle au Bois dormant. Il y avait bien des trésors qui attendaient le visiteur, notamment une toile de Giovanni Boldini (1842-1931), représentant Marthe de Florian, nom de scène d’Héloïse Mathilde Beaugiron. Ce tableau, ni répertorié ni exposé, datant des années 1906, a été vendu 2,1 millions € à Drouot, le 28 septembre 2016, par la maison Choppin de Janvry.
Aujourd’hui, il s’agit, non pas d’une collection oubliée, mais secrète, qui apparaît sur le marché. Celle-ci, constituée par un antiquaire, renferme un trésor inattendu, composé de 20 000 feuilles et 800 tableaux, qui seront répartis en 1 500 lots, dispersés en sept vacations organisées par la maison Daguerre. La première se déroulera à Drouot, le 31 mai 2024. À partir de septembre prochain, les six autres ventes réuniront des œuvres allant de la Renaissance aux créations contemporaines, parmi lesquelles figure une étude de Jean-Honoré Fragonard, et des œuvres signées Alberto Savinio, Roberto Matta, František Kupka, Alexandre Iacovleff ou encore Yannis Gaïtis. Le profit de ces ventes, selon la volonté du collectionneur, sera intégralement reversé à l’Institut Pasteur, « contribuant ainsi à la recherche scientifique et médicale contre les maladies infectieuses. »
En attendant, l’œuvre maîtresse de cette découverte, est une toile inconnue de Jean-Léon Gérôme (1804-1924), inédite au catalogue raisonné établi par Gerald Ackerman. Elle est intitulée Une épave (70,4 x 106,3) et estimée entre 80 000 et 120 000 €. On sait qu’elle a été réalisée avant 1901, grâce à l’écho qu’en fit le critique Arsène Alexandre (1858-1937) dans le Figaro du 4 octobre 1901. Ce tableau, montre une mer calme sous un ciel clair. Ce paysage serait idyllique si l’on ne voyait décalé sur la gauche un canot de sauvetage d’où est dressé un petit mât auquel a été attaché un morceau de tissu blanc. L’embarcation est remplie de corps dont la position et la couleur ne laissent aucun doute sur leur état. Il y a eu un naufrage, et l’on ne voit pas de trace de survivants. Le contraste entre la quiétude d’une mer d’huile et les marques d’un drame exprime un réel sentiment de malaise. Celui-ci n’est pas sans rappeler le Radeau de la Méduse de Géricault et la Fuite de Rochefort par Édouard Manet, quoique Le naufrage de Don Juan par Delacroix semble plus proche, dans sa composition.
L’Épave de Gérôme n’est pas coutumière de sa peinture davantage inspirée par l’histoire. On croise néanmoins au moins une autre toile figurant un canot, Le Prisonnier, voguant sur le Nil, conservé au Musée des Beaux-Arts de Nantes, dont il existe des copies sans mât. Si cette barque n’est pas en danger, le prisonnier lié ne semble pas être très rassuré.
Référence : AJU013l0