Une proposition indélicate

Publié le 14/08/2023

Georges Lafenestre (1837-1919) était autant poète qu’historien et critique d’art. Conservateur au musée du Louvre, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts, le 6 février 1892, au fauteuil de Jean-Charles Adolphe Alphand. Lié avec José-Maria de Heredia, il fréquenta Emmanuel des Essarts, Sully Prudhomme, Henri de Régnier, Barrès, Colette, Henry Gauthier-Villars, et Pierre Louÿs. Il a laissé une trentaine d’ouvrages, des recueils de poèmes et des essais critiques, notamment Artistes et amateurs, publié en 1899 par la Société d’Édition Artistique. Nous reprenons cet été la description qu’il fit de Titien et des princes de son temps.

Le cardinal Alexandre Farnèse, détail d’un tableau du Titien, 1546.

« C’est une grâce particulière de la maison Farnèse, dit quelque part l’Arétin, d’abonder en multitude de caresses qui sont, on le sait, les mères de l’espérance, inventées par la nature pour faire patienter les hommes, qui se repaissent au moins de la certitude des promesses. » Dans ce voyage de Bologne, Titien put faire l’épreuve de ce système. On lui offrit d’abord le titre de garde des sceaux, bien que cette place fût, depuis la mort de Léon X, occupée par Sébastien Luciani (d’où son sur­nom del Piombo), à la charge de servir à un autre peintre, Jean d’Udine, une rente de 80 ducats. Sébastien et Jean d’Udine étaient deux amis de Titien. Celui-ci repoussa sans hésitation cette proposition indélicate. On fit alors de nouveau miroiter devant ses yeux l’espoir d’un béné­fice pour son fils. Cette fois, on lui vendait encore une peau d’ours vivant. La sinécure en vue, l’abbaye de San Pietro in Colle, près de Ceneda, était bel et bien occupée par Sertorio, archevêque de San Severino, qui ne voulait l’abandonner que contre bonne et immédiate compensation. Des négociations laborieuses, à ce sujet, suivaient déjà leur cours lorsque le cardinal Alexandre, pris d’un accès de fièvre, quitta précipitamment Bologne sans même prévenir Titien. Ce contretemps bouleversa le peintre. Il écrivit franchement au cardinal : « Le départ subit de Votre Seigneurie Révérendissime m’a donné la plus mauvaise nuit que j’aie jamais passée de toute ma vie… » Il est vrai que le matin même, le secré­taire du cardinal, Maffei, venait lui affirmer que la ces­sion de l’abbaye était chose faite, qu’il n’y manquait plus que la rédaction des pièces. L’affirmation était men­songère. Durant toute l’année 1544, on voit, en effet, le père entêté mettre en campagne divers amis pour rappeler aux Farnèse leurs promesses, l’Arétin, Gualteruzzi, le secrétaire du cardinal Bembo, Bembo lui-même et jusqu’au farouche Michel-Ange. C’est en désespoir de cause qu’il s’était décidé à partir pour Rome.

Le pape et ses fils, à son arrivée, s’efforcèrent, par leurs caresses, de lui faire oublier ces récents déboires. On l’installa au Belvédère, où il se mit à travailler avec son activité habituelle. » (À suivre)

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