Une tendre musette

Publié le 30/07/2021

« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur : « altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication, en feuilleton de l’été consacré au faux en tout genre.

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« Vous connaissez sans doute le nom de Philippe Rousseau ? Cet admirable peintre de natures mortes exposa au Salon sous le titre : Ô ma tendre musette, une toile très remarquable et fort remarquée. Jetée parmi les accessoires, gît une musette d’un goût exquis. L’instrument, qui lui servit de modèle, se trouvait en mauvais état. Le chalumeau et le bourdon en ivoire avec des clefs d’argent étaient bien « de l’époque ». La panse en vieux velours couleur « prune de monsieur » avait dû, dit-on, être refaite par les doigts agiles de la femme du peintre. Madame avait même encadré le soufflet d’une dentelle d’or. Lancée dans la circulation, à la vente de l’atelier, la musette court encore.

N’a-t-on pas vu également naître des flûtes et dés hautbois en ivoire, imités de façon à faire pâmer d’aise les amateurs les plus blasés ? Un d’eux et non des moindres, nous l’avons déjà appelé Fidelio, fut un jour tenté par un superbe hautbois du XVIIe siècle à une seule clé.

Tourné dans un ivoire superbe, admirable de teinte ancienne, avec les craquelures du temps, il était présenté dans son étui original en vieux maroquin semé de dorures pâlies. Par bonheur Fidelio n’est pas seulement collectionneur, il est aussi musicien. Il porta l’embouchure à ses lèvres. Son oreille, encore plus experte que sa vue, lui fit reconnaître que l’instrument, contemporain de Lulli, était au diapason moderne, d’un ton au-dessus. Le marchand n’insista pas.

Est-ce le même industriel qui chercha à mystifier le musée du Conservatoire, dans la personne de son directeur G. Chouquet, en lui proposant un objet unique : une flûte du temps des Hébreux ? Mais il avait affaire à forte partie. G. Chouquet, fureteur infatigable, toujours à l’affût pour découvrir une rareté et enrichir son cher musée, était cependant fort prudent et toujours sur ses gardes. M. Paul Ginisty a recueilli la réponse qu’il fit à l’éhonté solliciteur : oui, dit-il, avec cette politesse exquise dont il ne se départait jamais, puisque vous le proclamez, je ne doute pas de l’authenticité de l’instrument. Mais voyez-vous, notre public est si sceptique ! Tâchez donc de retrouver comme garantie l’étiquette du fabricant hébreu, contemporain de Moïse. Je vous achèterai tout de suite votre flûte ». (À suivre)

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