Une vulgaire arme de théâtre

Publié le 16/08/2022

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« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur : « Altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication en « feuilleton de l’été » consacré au « faux » en tout genre. BGF

« Pourquoi Monaldeschi se fût-il chargé d’une tunique à maillons aussi larges ? Elle l’eût fatigué inutilement sans le mettre à l’abri des stylets, dont la lame triangulaire pouvait passer à travers, comme un doigt dans du beurre. D’ailleurs, toutes les cottes du XVIIe siècle avaient un collet montant, généralement d’une maille solide, destiné à protéger l’encolure des coups de taille. Celle de Monaldeschi, nous le savons, par le père Lebel, portait ce collet. La pièce qu’on nous montre à Fontainebleau n’en a pas trace.

Et ces deux trous sinistres ? Que vous en semble ? Un coup de stylet rompt une seule maille, et en écarte quatre. Rien de plus. Mais que veulent dire ces grandes déchirures ? Monaldeschi mort, les assassins ne se sont pas acharnés à dépecer son jaseran, et ce n’est pas, croyons-nous, les Mathurins qui auraient eu intérêt à détériorer leur relique. Une cotte qui se déchire comme un pourpoint de velours ! C’est une injure gratuite d’attribuer aux armuriers milanais de 1657, chez qui l’amant de Christine avait dû se fournir, un si piètre travail !

Quant à l’épée, c’est encore pire. À l’époque du drame, on portait des armes à gardes multiples ou à coquille, des rapières, comme on les appelle communément. Celle de la Galerie de Diane est d’une forme qui remonte à la première moitié du XVIe siècle, et, particularité qui nous a été signalée par M. Ch. Buttin, un des érudits les plus versés dans l’étude des armes anciennes, la fusée a été refaite à une époque moderne. Or l’arme de Monaldeschi devait être intacte. A-t-elle travaillé depuis sa mort au point d’exiger le remplacement de la fusée ? Donc, l’épée, comme la cotte, est apocryphe. Elle pourrait même n’être qu’une vulgaire arme de théâtre, car elle n’a pas, à son talon, cette portion rétrécie, émoussée sur les tranchants, que les Espagnols nommaient ricasso et qui servait à appuyer deux doigts.

Vous me direz : « Et les véritables armes de Monaldeschi, que sont-elles devenues ? ». Ça, je l’ignore. Mais le mot de l’énigme est peut-être à Avon. Si l’on faisait ouvrir la tombe de Monaldeschi, ce qui n’a pas été fait, je crois, depuis le père Lebel, on verrait, je présume, comment était armé l’amant de Christine ». (À suivre)

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