« Vache paît en paix »

Publié le 07/09/2022

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Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) est qualifié, dans les dictionnaires, de bibliographe français. En 1846, il fut nommé bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. Une charge qui était justifiée. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, ouvrage paru en 1861. Ce livre se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (« la comtesse de Ranc… » [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des Lettres. Nous reprenons cet été la publication de la Lettre XI consacrée au « Cabinet de M. Turgot ». BGF

« J’ai les Œuvres de Virgile, traduction des quatre professeurs ; j’ai la traduction en vers des Églogues, par Millevoye, volume précieux dont j’ai parlé ailleurs ; j’ai enfin celle de Tissot [Pierre-François] ainsi que la traduction, par le même, des Baisers de Jean Second.

Ce malheureux Tissot ! j’ai cru un moment qu’il ne lui serait pas permis d’avoir fait une bonne traduction des Bucoliques. À une époque où il me semblait qu’on mêlait trop et trop longtemps le souvenir de ses torts politiques à l’appréciation de ses talents littéraires, j’ai entendu faire plus d’une fois le petit conte que voici ; l’on assurait que dans la première édition de ses églogues il lui était échappé ce singulier vers : « La vache paît en paix dans ces gras pâturages, et qu’un critique ayant relevé cette cacophonie » ; Tissot l’avait corrigée en mettant : la vache paîtra, ce qui, remarquait-on, valait encore moins.

J’ai l’édition originale : j’y ai cherché longtemps cet hémistiche la Vache paît en paix, je ne l’ai point trouvé ; à la vérité, il y a dans la première églogue : Le cerf léger paîtra, mais que cela ait été corrigé ou non dans une édition subséquente, la traduction de Tissot n’en reste pas moins la meilleure que nous ayons des églogues du grand poème latin.

J’ai dit ailleurs pourquoi et comment j’ai recueilli toutes les éditions, avec les variantes et les perfectionnements graduels, de l’admirable traduction des Géorgiques par l’abbé Delille. Je possède une très belle édition de la traduction en vers italiens de l‘Énéide, par l’abbé Annibal Caro ; la traduction d‘Horace, par Batteux ; la traduction en vers des Odes, par le général Delort, avec un envoi du général ; l’excellente traduction de Juvénal, par Dussaulx [Jean-Joseph] ; et cette œuvre, une des premières qui aient fait connaître le nom de ce littérateur, me rappelle que j’ai eu le tort de ne pas compter parmi les livres originaux du XVIIIe siècle tout ce que j’ai réuni de lui, c’est-à-dire la presque totalité de ses ouvrages, quelques-uns avec autographe, et les quelques notes écrites par sa veuve sur l’honorable vie de Dussaulx ». (À suivre)

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