Velickovic, la représentation de l’être humain
Libérer l’énergie, technique mixte sur papier (1997).
DR
Les peintures de Vladimir Velickovic nous taraudent et ne peuvent nous laisser indifférents parce qu’elles évoquent une période de l’histoire où se sont perpétués des actes de barbarie. À ce moment-là, l’humain était considéré comme une chose que l’on pouvait manipuler, supprimer, anéantir. Mais ceux qui agissaient ainsi oubliaient que la force de vie qui nous anime ne peut être détruite. La barbarie échoue donc à chaque fois.
Les hommes représentés dans les peintures de Velickovic n’ont pas de tête, mais le sexe est montré de façon ostentatoire diront certains. Si le peintre a montré exagérément le sexe masculin, c’est peut-être pour souligner que la vie est toujours là. Et Velickovic indique ici une résistance à la volonté destructrice. Car les corps sans tête, dans ses peintures, sont tout en force musculaire, tout en puissance, tout en élan. Ses hommes sans tête vont vers quelque chose. Les corps sont montrés courant, sautant, franchisant des obstacles, comme pour dire : il est possible de supprimer un corps, non la force qui est en lui. La volonté instinctive est toujours présente.
Il faut comprendre que l’âpreté extrême des peintures de Velickovic est due à ce qu’il a vécu au cours de son enfance. Velickovic est né en 1935 à Belgrade. Il avait donc dix ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et son pays était occupé par les nazis. À jamais il en a été marqué. Comme son compatriote, le peintre Dado (1933-2010), qui a lui aussi été témoin d’atrocités. Dado, qui était Monténégrin, a rapporté plus tard : « En 1944, 13 janvier, les Allemands ont pendu deux résistants sur la place du village ; ils sont restés ainsi une quinzaine de jours. Pour me rendre chez ma tante, je passais devant ces deux pendus. Cette vision m’a permis, plus tard, d’admirer l’extrême réalisme des pendus dessinés par Pisanello. Des dessins magnifiques ».
De superbes dessins, Velickovic en a réalisé. Ils sont d’une puissance d’autant plus dérangeante que sa thématique n’a pas changé durant des années : des terres dévastées, hantées par les corbeaux, des potences, des instruments de torture, des barbelés, des corps meurtris. Des peintures gigantesques dans des harmonies de noir et de rouge qui évoquent des crépuscules sanglants. Elles plongent les spectateurs dans la boue de la barbarie.
Vladimir Velickovic (1935-2019) est né à Belgrade, où il reçut en 1960 son diplôme de la faculté d’architecture. En 1962 et 1963, il travailla à Zagreb dans l’atelier de Krsto Hegedunic (1901-1975), un peintre et illustrateur ; puis, en 1963, il réalisa sa première exposition personnelle. Après avoir reçu le prix de la Biennale de Paris, en 1965, il s’installa dans cette capitale. Le public parisien a alors pu découvrir son travail, particulièrement en 1967, lors d’une exposition à la galerie du Dragon. Il devint membre associé du mouvement « la figuration narrative ». Par la suite, Vladimir Velickovic exposa dans divers pays, et ses œuvres rejoignirent des collections particulières et des musées à travers le monde. Vladimir Velickovic enseigna à l’école nationale supérieure des Beaux-Arts de 1983 à 2000, et en 2006, il fut élu à l’Académie des Beaux-Arts.