Quand les détenus franciliens bénéficient des grandes institutions culturelles

Publié le 16/12/2024
Quand les détenus franciliens bénéficient des grandes institutions culturelles
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Le Louvre, l’Institut du monde arabe, le muséum d’histoire naturelle, le château de Versailles… Des institutions culturelles publiques sont associées à l’administration pénitentiaire pour apporter aux personnes « empêchées » l’opportunité de profiter comme leurs concitoyens de leur patrimoine ou de devenir jurés d’un Goncourt des détenus. Si les partenariats sont nationaux, les établissements franciliens sont relativement bien servis.

Jeudi 5 septembre, au centre pénitentiaire de Laon, la rumeur des beaux jours anime la pièce. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l’administration pénitentiaire, Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt, Régine Hatchondo, présidente du Centre national du livre (CNL) et Mokhtar Amoudi, lauréat du prix Goncourt des détenus 2023, ont fait le déplacement pour le lancement de la troisième édition du Goncourt des détenus. Pendant quelques mois, les personnes volontaires vont lire tous les livres de la sélection, discuter, débattre, défendre leurs chouchous. De quoi oublier, l’espace de quelques heures, que la pensée se bute souvent aux quatre murs de la cellule.

Alors que la télévision est souvent la seule fenêtre vers l’extérieur pour les détenus victimes de la surpopulation carcérale, chaque opportunité de se distraire ou de libérer son imaginaire est bonne à saisir. Depuis le premier protocole d’accord signé en 1986 et mis à jour en 2022, la politique interministérielle Culture & Justice a pour objectif de mettre en œuvre, pour les personnes placées sous-main de justice, une politique culturelle de qualité. Le ministère de la Culture multiplie entre autres les appels à projets « Culture et Justice » et soutient, dans les établissements pénitentiaires et les services de la protection judiciaire, les programmes d’actions culturelles en liaison avec les collectivités territoriales et les organismes culturels intéressés.

Ces actions culturelles sont multiples et concernent autant le livre et la lecture, le théâtre, les arts du cirque, la musique et la danse, les arts plastiques, le cinéma, l’audiovisuel, le multimédia et le patrimoine. L’objectif est de favoriser l’accès aux pratiques culturelles et artistiques, et contribuer à la lutte contre l’illettrisme par l’appropriation et la réappropriation de la culture. Mais il y a encore plus ambitieux : faire venir le musée aux détenus et les détenus dans les musées, que ce soit physiquement ou par le biais de travaux artistiques menés en détention ou d’expositions créées ex nihilo entre les murs d’enceinte de Fleury Mérogis, Fresnes, Nanterre, Poissy ou les centres de la PJJ.

Des talents nés en détention

« Mon travail, c’est de faire en sorte que ce protocole soit décliné sur le territoire et que ses grands principes respectés, que les actions culturelles représentent l’ensemble des champs artistique et culturel, qu’il s’agisse bien d’actions menées par des professionnels pour garantir la qualité des échanges », nous explique par téléphone Margaux Velten, référente nationale de la politique culture de l’administration pénitentiaire. La fonctionnaire est fière de nouer des partenariats tous azimuts avec des institutions culturelles de renom, tout en menant des projets de façon totalement libre, comme le Goncourt des détenus ou des événements ramifiés autour du calendrier civil comme la Fête de la musique, la Nuit de la lecture ou la fête du court métrage. « L’idée c’est que les personnes empêchées ou ayant des peines alternatives à la détention puissent participer elles aussi à la vie culturelle ».

Le Louvre, l’Institut du monde arabe, le muséum d’histoire naturelle, la bibliothèque publique d’information, le château de Versailles, le Centre national du livre ou le théâtre Paris Villette (qui a fait naître le festival Vis-à-vis en 2016 et a qui a été confié le déploiement sur tout le territoire), en tout, une dizaine de partenariats ont été scellés avec de grandes institutions auxquels s’ajoutent aussi des actions pédagogiques menées localement avec des associations ou des acteurs de la culture (à l’instar du musée du Quai Branly ou de la Maison de la poésie, à Paris, qui organise des ateliers d’écriture en détention avec des auteurs de renom). C’est la Direction interrégionale et services locaux (SPIP et prisons) qui développent leurs propres partenariats pour des actions ciblées. Selon Margaux Velten, ces partenariats sont fondamentaux pour la réhabilitation des détenus : « ils permettent d’affirmer que les personnes continuent à faire partie de la société. C’est le rôle des institutions culturelles publiques d’aller vers les publics éloignés de la culture. C’est un droit ». Si la plupart des projets se font dans le cadre de la détention – via des expositions temporaires et des ateliers – certaines demandes de permission pour se rendre dans les musées sont aussi possibles. « La permission de sortie est aussi une plus-value : il y a une grande différence entre être confronté aux œuvres en tant que telles et regarder une exposition sur un kakémono. Si les juges autorisent ces sorties, nous sommes toujours heureux de les mettre en place », soutient la fonctionnaire.

Au-delà même de la sensibilisation à la culture et de l’ouverture d’esprit, ces partenariats permettent également aux détenus de développer des compétences, comme la prise de parole à l’oral ou la gestion d’un projet au long cours. Certains ont pu, le temps de la détention, devenir commissaires d’expositions ou auxiliaires multimédias en tournant et montant des contenus documentaires, tandis que d’autres sont devenus bibliothécaires. Des compétences qui peuvent ensuite être valorisées dans le cadre de la réinsertion professionnelle. « Des talents sont mêmes nés en détention, souligne Margaux Velten, comme le dessinateur, Berthet One, qui a découvert la BD en détention et dont le talent s’est révélé dans le concours Transmuraille (organisé par le Spip d’Angoulême) ou le ténor Naestro ».

Avec le Louvre, les détenus deviennent commissaires d’exposition

Cathy Losson, cheffe du service éducation, n’est pas peu fière du travail mené avec les détenus dans le cadre du partenariat qui lie le musée à l’administration pénitentiaire depuis 2008. Le Musée a même décidé d’envisager le partenariat de façon globale. « Nous intervenons avec les personnes placées sous mandat de justice mais avons aussi un gros volet de formation des personnels judiciaires car l’ensemble de la chaîne doit être impliqué dans ce projet », souligne-t-elle. Elle insiste en particulier le travail mené à la maison centrale de Poissy pour le montage d’une exposition et une scénographie dans la cour de promenade de la prison centrale. Un travail de réflexion, de sélection et de création laissé entièrement à la responsabilité des détenus. « Il y avait de la part de la direction du musée une volonté d’arriver avec quelque chose de très qualitatif avec des reproductions d’œuvres en 2D et en 3D. Une opération marquante. En 2023, 75 activités ont été menées dans le cadre de ce partenariat avec le Louvre, dont une opération menée à Nanterre avec la collaboration du théâtre des Amandiers ». Plus de 700 personnes ont été touchées : « Nous avons généralisé la logique de co-construire avec les détenus et les surveillants », souligne Cathy Losson qui évoque une mission de service public. « L’idée avec le fait d’amener le Louvre en détention, c’est que quand le détenu retrouve la vie civile il sache qu’il est en droit d’emprunter des livres, d’aller au musée ou au spectacle. Les collections du Louvre appartiennent à tous depuis 1793. Nous ne sommes pas dans une logique descendante, en débarquant avec des Powerpoint tout préparés, nous engageons une conversation. Sont-ils plutôt Égypte ancienne, chefs-d’œuvre de la Renaissance ou arts de l’Islam ? Ils doivent passer un bon moment, qu’ils gardent une image positive du musée ».

La fonctionnaire se souvient encore de la fierté des détenus de la maison centrale de Saint-Maur, en région Centre-Val de Loire, quand ils ont appris que l’exposition qu’ils avaient conçue avait été exposée aux Beaux-Arts de Dijon : « Cela montrait que leur travail de commissaire d’exposition est valorisé ». Le Musée entend à l’avenir associer toujours plus d’employés à ce partenariat. « Aujourd’hui, à Melun, la personne en charge du partenariat est entrée auprès des détenus de l’atelier bois accompagnée des experts de l’encadrement et de la dorure du musée ». Des échanges qui permettent selon elle d’ouvrir toujours plus le musée vers l’extérieur.

« Chaque vitrine dit un imaginaire que n’a pas éteint l’incarcération »

« Porter le musée à la maison d’arrêt et accueillir la maison d’arrêt au musée » en 2013, un projet très ambitieux reliait la Maison d’arrêt des femmes de Versailles et l’Institut du Monde arabe. Pendant vingt-six lundis, les détenues ont pu bénéficier d’un cycle de découverte du monde arabe, de ses cultures, de son histoire. Elles ont appris à coudre des vêtements dignes des Mille et une nuits dans le but de monter une exposition baptisée « Cousu main » et exposée à Paris dans les couloirs de la prestigieuse institution. Un projet qui a galvanisé les détenues, qui étaient entre 10 et 15, et qui pour beaucoup ont rapporté leur travail en cellule. « Au fil des séances, la confiance est venue en soi et dans l’échange et le résultat dépasse toutes les espérances. C’est une fierté d’accueillir, après sa première monstration dans les lieux de son élaboration, l’exposition « cousu mains » au musée de l’Institut », avait commenté le directeur de l’époque Éric Delpont dans le catalogue d’exposition. « Par-delà ces mains qui portent les stigmates des heures dévolues aux travaux d’aiguille avec le souci constant d’un dépassement de soi, chaque vitrine dit un imaginaire que n’a pas éteint l’incarcération et l’espoir d’être reconnue, après cette épreuve, comme une personne à laquelle est rendue sa dignité ».

Le partenariat entre l’Institut du Monde arabe et l’administration pénitentiaire existe depuis 2009 et s’inscrit dans la volonté de toucher les publics empêchés qu’ils soient hospitalisés ou en détention. « L’opération menée à Nanterre vient après de nombreuses expositions itinérantes. En Île-de-France, nous travaillons avec tous les centres pénitentiaires, Fleury, Fresnes, la Santé… Dans le Val d’Oise, nous menons des projets culturels très intéressants comme des ateliers d’écriture ou des podcasts fait maison avec des illustrations faites par les détenus. Nous avons également mené une exposition en 2021 qui s’appelle « Divas du monde arabe ». Nous recommençons avec une nouvelle collaboration : une exposition sur l’astronomie et l’école d’astronomie arabe que nous avons baptisée « un bout de ciel »», souligne Élodie Roblain, responsable de ce partenariat avec Imane Mostefai.

Si dans la majorité des cas les interventions sont sporadiques, des ateliers de deux heures par-ci par-là, l’Institut rempli tout de même sa mission de diffuser les cultures arabes partout où cela est possible. « Parler positivement des cultures des mondes arabes et donner une image plus juste et équilibrée de l’histoire des pays du monde est une mission capitale pour tous et toutes, y compris les personnes détenues ».

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