Sénégal : un coup dur pour la transparence et la bonne gouvernance ?

Soustraction des activités des sociétés publiques du secteur pétrolier, gazier et de l’énergie électrique du champ du Code des marchés publics
Publié le 23/01/2023
Dakar, Sénégal
derejeb/AdobeStock

C’est pour, diton, assurer l’efficacité, la réactivité et la célérité des sociétés publiques du secteur de l’énergie, et leur permettre de faire face à la concurrence et d’atteindre les objectifs qui leur sont fixés que l’État du Sénégal a jugé indispensable d’assouplir les règles de passation des marchés publics dans le secteur pétrolier et gazier, ainsi que dans celui de l’énergie électrique.

D. n° 2022-1538, 12 août 2022, modifiant et complétant le décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics : JORS n° 7555, 13 août 2022

Depuis 2012, les autorités publiques ont fait de la « gestion sobre et vertueuse » une règle dans la conduite des affaires de la cité. C’est dans ce sens qu’ont été engagées des poursuites judiciaires à l’encontre de personnalités politiques pour détournement de deniers publics et enrichissement illicite. Mieux, le législateur sénégalais, dans sa volonté de faire face à la fraude et à la corruption, a mis en place l’office national de lutte contre la fraude et la corruption1 avant d’adopter une loi relative à la déclaration de patrimoine2.

Aujourd’hui, malgré l’actualité brûlante relative aux scandales d’enrichissements illicites à travers les marchés publics, un secteur stratégique à énorme enjeu financier a été ôté du champ du Code des marchés publics en violation flagrante de la charte de transparence et d’éthique en matière de marchés publics. Au point de ne pas même citer son décret d’approbation3 parmi les visas du nouveau décret n° 2022-1538 du 12 août 2022 modifiant et complétant le décret n° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics. N’est-ce pas là un coup dur pour la transparence et la bonne gouvernance dans la gestion des ressources publiques, gage de crédibilité de l’État aux yeux de ses différents partenaires et de ceux des citoyens ?

En effet, ladite charte de transparence et d’éthique rappelle qu’il est impérieux de bâtir un cadre des finances publiques apte à garantir la transparence dans l’attribution des marchés publics et l’efficacité dans la gestion des ressources publiques, sachant que ces marchés constituent un baromètre pertinent du degré d’engagement des pouvoirs publics en matière de transparence et d’efficacité. Pourtant, l’État justifie l’instauration d’un régime dérogatoire pour les activités des sociétés publiques du secteur de l’énergie (Senelec, Petrosen holding, Petrosen Exploration/Production, Petrosen Trading and Services, société africaine de raffinage, réseau gazier du Sénégal et institut national du pétrole et gaz), par souci d’efficacité avec la réduction des délais d’acquisition des biens et services, afin de ne pas exposer lesdites sociétés à des « goulots d’étranglement » aux conséquences néfastes.

C’est pourquoi le décret n° 2022-1538 du 12 août 2022 dispose, en son article premier, que les autorités contractantes, sociétés publiques en charge de l’application de la politique pétrolière, de l’exploration, de l’exploitation des ressources pétrolières, gazières, du raffinage et de la commercialisation des produits pétroliers et gaziers, de la construction, de l’exploitation et de l’entretien d’infrastructures de transport et de distribution du gaz naturel, de la production, du transport, de la distribution d’énergie électrique, selon leurs activités, peuvent, sans appliquer les procédures prévues par le Code des marchés publics4, acquérir des biens et services nécessaires à la conduite de leur mission. Il faut reconnaître qu’il s’agit essentiellement des activités qui concernent le pétrole et le gaz dont la production, au Sénégal, est attendue à l’horizon 2023.

Cette exclusion de marché du Code des marchés publics n’est pas nouvelle. En 2020 déjà, sous le prétexte de la lutte contre la Covid-19, l’État avait décidé que les travaux, fournitures et prestations de service réalisés dans le cadre de la lutte contre la pandémie n’étaient pas soumis au Code des marchés publics5.

Ainsi peut-on douter de la pertinence du régime dérogatoire prévu pour les sociétés publiques du secteur pétrolier, gazier et de l’énergie électrique, dès lors qu’il est peut-être jugé inopportun et préjudiciable aux ressources publiques, comme l’a d’ailleurs révélé le récent rapport de contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid) entre 2020 et 2021, établi par la Cour des comptes sénégalaise6. En effet, suivant ledit rapport, le régime dérogatoire a été sans incidence positive sur les délais d’exécution de certains marchés et a même favorisé le renchérissement des coûts d’acquisition, du fait de l’absence de mise en concurrence et d’une contractualisation avec un nombre restreint de fournisseurs7.

Il faut oser espérer que le Sénégal saura tirer les bonnes leçons de la pratique du régime dérogatoire des marchés publics afin de garantir aux deniers publics et, surtout, aux ressources pétrolières et gazières une gestion saine et transparente conformément aux aspirations du peuple sénégalais devenu propriétaire desdites ressources depuis 20168.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2012-30, 28 déc. 2012.
  • 2.
    L. n° 2014-17, 2 avr. 2014.
  • 3.
    D. n° 2005-576, 22 juin 2005.
  • 4.
    D. n° 2014-1212, 22 sept. 2014.
  • 5.
    D. n° 2020-781, 18 mars 2020.
  • 6.
    C. comptes du Sénégal, rapp. n° CC/CABF/G (2022), contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid), Gestion 2020 et 2021.
  • 7.
    C. comptes du Sénégal, rapp. n° CC/CABF/G (2022), contrôle de la gestion du fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid), Gestion 2020 et 2021, p. 12.
  • 8.
    Article 25-1 de la Constitution révisée de 2016.
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