Agression dans un lycée à Bussy-Saint-Georges : « Sur le Coran, je vais te défoncer ! »

Publié le 04/11/2021

Deux jours après les commémorations de l’assassinat de Samuel Paty, quatre jeunes ont forcé la grille d’un lycée puis frappé un enseignant et deux surveillants. A l’exception du mineur de la bande, ils ont été jugés le 27 octobre au tribunal judiciaire de Meaux, en Seine-et-Marne.

Agression dans un lycée à Bussy-Saint-Georges : « Sur le Coran, je vais te défoncer ! »
Palais de justice de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 « J’ai reçu une pluie de coups, je ne saurais même pas dire qui me frappait. Je ne voyais que des mains, j’entendais des cris, des insultes et menaces », résume un professeur du lycée Martin Luther King à Bussy-Saint-Georges. Paisible bourgade de 500 habitants jusqu’en 1980, la commune a multiplié sa population par 40 après son intégration à la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. Dès lors, sont apparus les agressions, trafics de stupéfiants, même si Bussy reste un lieu où il fait bon vivre. D’où la stupéfaction du personnel de l’établissement scolaire attaqué lundi 18 octobre à 17h06. L’horaire est précis grâce aux caméras de vidéosurveillance. L’enregistrement des faits démontre leur violence et leur durée : deux minutes et dix secondes. C’est long, quand on craint pour sa vie.

Car il faut replacer ces actes dans un contexte particulièrement éprouvant. Samedi 16, les personnels rendaient hommage au professeur Samuel Paty, décapité un an plus tôt à la même heure, alors qu’il venait de quitter son collège. Et deux jours plus tard, quatre individus forcent la grille du lycée et s’abattent sur eux.

Comment ne pas penser, fût-ce brièvement, à un attentat ?

Une mineure saisie à la gorge et giflée cinq fois

 A l’origine de ces « violences aggravées, outrages et tentatives d’intrusion non autorisée » dans l’enceinte d’un bâtiment scolaire, chefs de prévention retenus contre Girih, Éric et Babacar, tous trois âgés de 18 ans, une histoire de canette jetée au sol, le 12 octobre. Laura*, qui passait par là, indique à Babacar la poubelle à proximité. Ce dernier et ses copains l’encerclent, Éric sort son téléphone, filme la scène. La vidéo, vue 64 000 fois sur les réseaux sociaux, montre Laura saisie à la gorge, giflée à cinq reprises, jetée sur un banc où elle se replie en position fœtale. Aux policiers, l’adolescente de 16 ans précise le rôle de Babacar : « Il disait qu’il allait me tuer. » Diffusée sur Snapchat et TikTok, la scène traumatise Laura : « Je me sens humiliée et je n’ose plus sortir », indique la jeune fille qui, depuis, a perdu 8 kilos.

Elle raconte son agression à Jérémie*, un ami du lycée Martin Luther King. En classe avec une copine de Babacar, il lui reproche l’attitude de la bande. Elle rapporte aussitôt ses propos aux intéressés, qui voient rouge. Et le 18, ils organisent une « opération punitive » contre Jérémie. Aujourd’hui, face aux magistrats de Meaux, les trois prévenus conviennent que c’était « une mauvaise idée ». « Mais faut comprendre, il avait mal parlé à une amie à moi », se justifie Babacar.

« J’ai frappé une fois. Enfin, plusieurs fois… »

 Éric, fluet dans son tee-shirt rose fuchsia, admet qu’à peine arrivé au lycée, « c’est parti en vrille. On s’est vite embrouillés ». Sans doute parce que, au surveillant qui l’empêchait d’entrer, il a dit « je vais te baiser » et lui a mis « un coup ». Girih, petit et trapu en doudoune couleur vert-de-gris, avoue aussi « le clash » : « J’ai frappé une fois. Enfin, plusieurs fois… » Babacar, le plus costaud en K-Way bleu, convient juste que « ça a chauffé des deux côtés ». Lui seul rechigne à présenter des excuses.

La présidente Isabelle Verissimo s’étonne : « – Si quelque chose ne vous plaît pas, vous frappez. Cela vous semble normal ?

– Je ne dis pas que j’ai eu raison mais j’étais énervé.

– Le 12 octobre, le 18, ça fait beaucoup de violence en très peu de temps… »

On ignore si c’est lui qui prononce cette phrase audible sur la vidéo : « Sur le Coran, je vais te défoncer, te niquer ! » Des mots qui ont accentué la peur des victimes.

Deux d’entre elles assistent à l’audience. L’une a été atteinte à l’os pariétal et à la pommette ; l’autre à hauteur du crâne après avoir essuyé un crachat. La troisième a reçu un poing dans le nez. Quant à Laura, elle est incapable de les affronter. A Éric, la juge explique que la diffusion de la vidéo qui expose la jeune fille battue est punie de 5 ans de prison. Une chance qu’il ne soit pas poursuivi pour ce « partage » sur les réseaux, donc, mais qu’il se le tienne pour dit.

« Ces trois idiots ont deux neurones »

« J’ai beau entendre les explications de ces jeunes, c’est l’incompréhension totale », soupire Me Maud Silberberg, qui représente les parties civiles. Ils n’ont jamais été condamnés, ils vivent chez leurs parents, travaillent l’été, ne boivent pas ni ne se droguent. Girih est en terminale, Babacar suit des études d’histoire pour devenir conservateur, Éric est titulaire d’un CAP, en recherche d’un emploi d’animateur social… Ils étaient si peu connus, à Bussy, que la police a passé huit jours à les localiser. « Vous remettez en cause tout le système dont vous avez profité », fustige l’avocate.

Le procureur Hervé Tétier partage son opinion. « La sérénité doit régner dans les établissements scolaires, c’est une absolue nécessité, surtout après l’assassinat d’un professeur. » Il requiert 18 mois de détention, dont un an avec sursis, avec incarcération immédiate.

« Une peine inadaptée à leur situation », s’indigne Me Julia Moroni qui les défend. « Ils ont commis des infractions, personne n’est à l’abri d’une telle connerie, pour parler comme eux. Ces trois idiots ont deux neurones et ils ont perpétré des faits “stupidissimes”. Mais 18 mois ? C’est aberrant pour des primo-délinquants ! » Elle estime préférable « de les prévenir, une fois pour toutes, et de les contraindre à réparer ».

A 16h20, le tribunal les condamne à 12 mois de prison, dont 6 ferme, sans mandat de dépôt mais pas plus d’aménagement de peine. Le juge qui les prendra en charge décidera de leur proche avenir. Ils ont interdiction de fréquenter l’agglomération de Marne-la-Vallée (27 communes) et d’entrer en contact avec les victimes « sous aucune forme que ce soit », souligne la présidente. Elle ordonne l’exécution provisoire, qu’ils forment ou non appel du jugement. Le tribunal statuera sur les intérêts civils le 22 mars.

 

*Prénom modifié

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