Haro sur le « comportement inapproprié » des nouvelles prophétesses du droit moral !

Publié le 01/06/2022

En plus des nombreuses infractions à caractère sexuel définies dans le code pénal, une nouvelle expression inconnue du droit apparait dans le discours médiatique : le « comportement inapproprié ». Notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier révèle les dangers invisibles contenus dans cette notion. 

Haro sur le "comportement inapproprié" des nouvelles prophétesses du droit moral !
Photo : ©AdobeStock/Mike Fouque

Quand de nombreux avocats, dont certains sont des références pour beaucoup d’entre nous, font le tour des médias pour parler de la présomption d’innocence et surtout, expliquer en quoi elle est fondamentale dans notre état de droit, c’est que, comme disait Jacques Chirac en 2002 : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

Suite au remue-ménage de la semaine dernière au sujet de cette fameuse « affaire Abad », le soufflet semble être retombé. Et pourtant…Notre maison brûle toujours. Et nous regardons toujours ailleurs.

Les hommes aussi peuvent être victimes

Après l’atteinte sexuelle (article 227-25 du code pénal), l’agression sexuelle (article 222-22), le viol (article 222-23), le harcèlement sexuel (article 222-33), la discrimination sexuelle (article 225-1), l’outrage sexiste (article 621-1)… Il y aurait des hommes qui auraient des « comportements inappropriés » de nature à les écarter de tel ou tel poste, en dehors évidemment de toute enquête pénale, de toute mise en examen et pire, de toute condamnation pénale.

Je ne parle volontairement pas de « comportements inappropriés » de femmes car il n’en est jamais question dans la bouche de ces nouvelles prophétesses du droit moral. Comme si les femmes ne pouvaient ni agresser, ni violer, ni harceler, ni discriminer..

Certes, les violences sexuelles visent majoritairement les femmes,  mais les hommes ne sont pas épargnés et peuvent, évidemment, être victimes d’infraction à caractère sexuel.

Si l’on s’en tient à la définition du Larousse, puisque ce terme est évidemment inconnu du code pénal, et fort heureusement, est « inapproprié » un comportement qui ne « convient pas ». Qui n’est pas adapté, pas adéquat, pas conforme, pas convenable.

Je ne vous cache pas que je suis inquiète de ces dérives qui entrent, petit à petit, dans le quotidien des justiciables qui n’y comprennent pas grand chose.

Un danger plus grand qu’il n’y parait

Le terme « inapproprié » tend effectivement à déplacer le curseur de la constatation de l’infraction du coté de la plaignante, et plus du tout du côté de celui du suspect.

Je sais que cela semble compliqué mais je vais vous expliquer..

A l’heure actuelle, l’enquête pénale puis le procès pénal ont pour objet de vérifier si le suspect a commis une infraction. On se place ainsi de son côté pour trouver des éléments à charge, mais aussi à décharge : l’enquête le concerne en priorité et le procès pénal est son procès pénal à lui. Il convient de savoir si LUI a commis une infraction, et accessoirement, s’il en a conscience. Nul n’étant censé ignorer la loi, celui qui l’enfreint doit savoir que son comportement à lui, peu importe les répercussions qu’il a, est puni par la loi.

Par exemple, les déclarations d’une femme qui dénonce un viol sont un indice parmi les autres. Un indice sérieux, certes, mais un indice qui doit être corroboré par d’autres éléments extérieur. Et heureusement.  Pourquoi ? Parce que l’on peut mentir, évidemment. Le mensonge fait partie intégrante de la nature humaine et je défie quiconque de me jurer, la main sur le coeur, qu’il n’a jamais menti de sa vie !

Mais aussi parce que ce l’on vit n’est pas forcément une infraction pénale. Le ressenti n’est pas nécessairement la réalité judiciaire.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le viol n’est pas, au sens pénal, une relation sexuelle non consentie, mais un acte de pénétration sexuelle commis par violence, menace, contrainte ou surprise (article 222-23 du Code pénal).

A ce stade, vous pensez que je pinaille, car je suis avocate et que j’aime la précision. Et bien pas du tout : il y a en pratique une énorme différence !

La notion de consentement appartient à la plaignante. On se place ainsi de son côté pour savoir si l’autre a commis un infraction. Cela revient à dire que son absence de consentement, donc ce qu’elle dit, suffit à condamner celui qu’elle dénonce.

La notion de contrainte (violence, menace, contrainte ou surprise) vise le suspect.

C’est un acte que l’on juge, pas un sentiment

C’est son acte à lui que l’on juge. Pas le sentiment, ou le consentement, d’une plaignante.

Il y a des femmes qui disent avoir été violées et qui ne l’ont pas été. Et d’autres qui ont été violées et qui n’ont pas la conscience de l’avoir été (notamment dans les dossiers très délicats de viols conjugaux).

Le consentement a sa place dans les débats judiciaires évidemment, mais le juge doit s’attacher à vérifier s’il y a eu « violence, menace, contrainte ou surprise ».

Alors qu’est ce pourrait être un comportement inapproprié ?

On sait ce qu’il ne serait pas : il ne serait ni une atteinte sexuelle, ni une agression sexuelle, ni un viol. Il ne serait pas non plus du harcèlement sexuel, une discrimination sexuelle, un outrage sexiste.

Mais que serait-il donc ?

Une tentative de drague foireuse ?

Un sms proposant un dernier verre ?

Un regard appuyé sur les jambes d’une femme qui porte une mini jupe ?

Une blague nulle sur les blondes ?

Une invitation à diner par un collègue ?

Qu’est ce qui n’est pas approprié ? Ce que vous estimez être inapproprié ne l’est pas pour votre voisin. Car le terme même suppose une moralité qui n’a pas lieu d’être en matière pénale.

On ne peut pas juger en fonction uniquement des déclarations, ou d’un sentiment, d’une plaignante.

Notre droit est un droit de la preuve.

La lutte contre les violences sexuelles : OUI.

L’outrance dans la moralité : NON.

Le droit, rien que le droit, toujours le droit.

C’est ce qu’on appelle : l’état de droit.

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