HIV non révélé : pas de contamination, pas d’infraction

Publié le 23/04/2019

Pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, le fait, pour une personne porteuse du VIH, d’obtenir d’une autre une relation sexuelle non protégée après lui avoir dissimulé sa séropositivité, n’est constitutif d’aucune infraction en l’absence de contamination.

Cass. crim., 5 mars 2019, nº 18-82704, ECLI:FR:CCASS:2019:CR00126, Mme U I, PB (rejet pourvoi c/ CA Rouen, ch. instr., 24 janv. 2018), M. Soulard, prés. ; SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, av.

Quelle qualification retenir à l’encontre de la personne qui, se sachant séropositive ou porteuse d’une maladie sexuellement transmissible, cache cette information à son partenaire et obtient de celui-ci un consentement à une relation sexuelle non protégée ? La Cour de cassation a déjà répondu à plusieurs reprises, à propos du VIH, en retenant la qualification d’administration de substances nuisibles de l’article 222-15 du Code pénal lorsque le partenaire, dont le consentement a été surpris, a été contaminé lors de la relation intime1. Par l’arrêt du 5 mars 2019, elle n’en retient aucune s’agissant des situations dans lesquelles le partenaire qui ignorait la maladie n’a pas été contaminé.

Dans cette affaire, une personne porteuse du VIH avait entretenu des relations sexuelles non protégées avec une autre, le tout sans l’avoir préalablement prévenue de sa maladie. À la suite de la découverte de cette réticence, le partenaire, qui n’a pas été contaminé, s’est constitué partie civile et a remis un certificat médical faisant état d’une absence de lésion et d’une incapacité temporaire totale de travail de 10 jours. Le juge d’instruction saisi des faits a dit n’y avoir à suivre, sa décision étant confirmée par la chambre de l’instruction. Pour justifier leur décision, les magistrats de la cour d’appel de Rouen ont fourni une motivation d’ordre médical, énonçant notamment que la personne poursuivie ne comportait qu’une charge virale constamment indétectable depuis un certain temps, de sorte que la séropositivité n’est plus que potentielle mais non actuelle, que ses fluides corporels ne sauraient être tenus pour nuisibles à la date des agissements reprochés, tout en ajoutant que « si leurs scrupules théoriques imposent aux experts, aux savants et aux soignants de retenir, comme en l’espèce, la notion de risque négligeable de transmission associée à la circonstance d’indétectabilité de la charge virale de longue date plutôt que celle de risque nul, la nuance est sans portée quant à l’appréciation concrète des effets potentiels de l’administration sexuelle des substances dont s’agit ».

Par son arrêt du 5 mars 2019, la chambre criminelle a rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt confirmatif de l’ordonnance de non-lieu en raison de la non-constitution du délit d’administration de substances nuisibles. Elle a en effet considéré « qu’en l’absence de contamination de la partie civile, l’élément matériel de l’infraction faisait défaut et que les faits n’étaient susceptibles d’aucune autre qualification pénale ». Si la première affirmation est incontestable (I), il n’en va absolument pas de même à propos de l’absence de caractère infractionnel de la réticence relative à une maladie sexuellement transmissible débouchant sur une relation sexuelle non protégée (II).

I – La non-constitution évidente de l’administration de substances nuisibles en l’absence de contamination

L’affirmation, par l’arrêt du 5 mars 2019, selon laquelle le fait, pour une personne qui a caché sa séropositivité à son partenaire sexuel, d’avoir obtenu de ce dernier un consentement à une relation intime non protégée, n’est pas, en l’absence de contamination, constitutif du délit d’administration de substances nuisibles, est incontestable. L’article 222-15 du Code pénal incrimine en effet une infraction matérielle qui est consommée par l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui générée par l’administration d’une substance nuisible. Il est donc nécessaire à sa constitution, d’une part, qu’une atteinte à l’intégrité physique soit caractérisée, d’autre part, que cette atteinte trouve sa cause dans la substance nuisible administrée. La chambre criminelle veille à cette double nécessité. À titre d’illustration, peut ainsi être mentionné l’arrêt rendu le 14 juin 1995 relativement à un stratagème de triche à l’occasion d’un match de football, duquel il ressort que la mise à la disposition des membres d’une équipe de football de bouteilles d’eau minérale, après y avoir introduit à dessein du « valium », caractérise le délit d’administration de substances nuisibles dès lors qu’il est établi que « l’absorption de valium par deux joueurs avait entraîné une diminution de leurs facultés physiques »2. L’atteinte à l’intégrité physique était donc la conséquence de l’effet de la substance, de la même manière qu’en ce qui concerne les cas de réticence similaire à celle poursuivie dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, qui ne sont qualifiés d’administration de substances nuisibles que lorsque le VIH a, par le jeu de la relation sexuelle, pénétré le corps du partenaire dont le consentement a été trompé, atteignant ainsi son intégrité physique3.

De la sorte, le fait, pour une personne porteuse du VIH, de cacher sa maladie et d’obtenir d’une autre son consentement à une relation sexuelle non protégée, ne peut jamais, en l’absence de contamination, être caractéristique du délit d’administration de substances nuisibles. D’une part, en raison de l’absence du résultat infractionnel, donc d’atteinte à l’intégrité physique résultant de l’inoculation du VIH. D’autre part, en raison de l’absence probable d’administration. Ce qui est bien la marque, comme l’a relevé la chambre criminelle, de la non-caractérisation de l’élément matériel.

Deux dernières remarques doivent retenir l’attention. La première est que la motivation de la chambre de l’instruction, tendant à la démonstration de l’absence de substance nuisible, donc de la condition préalable de l’infraction, n’était pas d’une grande nécessité dès lors que n’étaient établies ni la présence d’une administration, ni celle d’une atteinte à l’intégrité physique générée par cette administration. La seconde a trait à l’atteinte à l’intégrité physique mise en avant par la partie civile, qui ne permet pas de retenir le délit de l’article 222-15 du Code pénal dès lors que cette atteinte n’est pas générée par une substance qui lui aurait été administrée.

II – L’affirmation contestable de l’absence de caractère infractionnel de la réticence non contaminante

Dans son arrêt du 5 mars 2019, la chambre criminelle a affirmé que le fait, pour une personne, de dissimuler sa séropositivité et d’obtenir ainsi de son partenaire une relation sexuelle non protégée n’est constitutif, en l’absence de contamination dudit partenaire, d’aucune infraction. Cette solution est plus que critiquable, car au moins trois qualifications sont envisageables pour appréhender un tel agissement, en l’occurrence les violences intentionnelles, l’empoisonnement et sa tentative, et le viol.

S’agissant de la qualification de violences intentionnelles, il convient de rappeler que l’article 222-14-3 du Code pénal précise que ces violences des articles 222-7 et suivants « sont réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ». Or, à partir du moment où la connaissance, chez une personne, du fait qu’elle a pris part à une relation sexuelle non protégée avec une autre qui lui a dissimulé sa séropositivité cause un choc émotif, il existe bien une violence psychologique générée par la participation intentionnelle de l’auteur de la réticence à la relation qui, en l’absence de coups, est génératrice d’une atteinte à l’intégrité de la victime en raison de l’émotion qu’elle ressent4. Ce qui rend le recours à la qualification de violences intentionnelles pleinement concevable, l’infraction étant, pour la Cour de cassation, constituée par tout acte de nature à impressionner vivement la victime « et à lui causer un choc émotif »5. Toutefois, bien que concevable, cette qualification n’est pas pour autant pertinente. Elle ne rend pas, en effet, compte à la fois de la gravité et de la nature véritable de l’agissement, qui consiste à surprendre le consentement d’autrui à une relation sexuelle6.

La deuxième qualification concevable pour appréhender une réticence sur la séropositivité qui permet l’obtention d’un consentement à une relation sexuelle non protégée a déjà été proposée par la doctrine7. Il s’agit du crime d’empoisonnement et de sa tentative en l’absence de contamination de la personne dont le consentement a été surpris. L’empoisonnement, tel qu’incriminé par l’article 221-5 du Code pénal, est un attentat à la vie réalisé par l’administration d’une substance mortelle, qui nécessite pour sa caractérisation, l’animus necandi mis à part, l’existence d’une substance mortelle, condition préalable, et un acte d’administration de cette substance, élément matériel, qu’elles qu’en soient les suites, l’infraction étant formelle8. Aussi, le VIH est une substance objectivement mortelle, l’existence ou l’absence d’antidote étant indifférente. La matérialité infractionnelle serait établie par l’administration de cette substance par voie sexuelle, alors que l’absence d’administration malgré le rapport sexuel pourrait être regardée comme un commencement d’exécution accompagné d’un désistement involontaire au sens de l’article 121-5 du Code pénal. Malgré l’existence de la matérialité de l’empoisonnement consommé ou tenté, l’élément moral pose problème. Si, en effet, l’agissement a été réalisé aux fins de contaminer le partenaire, la présence de l’intention semble difficilement contestable. Elle le devient lorsque le résultat premier recherché est l’obtention du rapport sexuel, et non la contamination, ce qui n’est pas la marque d’un animus necandi mais d’une volonté d’atteindre la liberté sexuelle d’autrui.

Même si le recours aux violences intentionnelles et à l’empoisonnement est concevable pour sanctionner celui qui a obtenu le consentement de son partenaire à une relation sexuelle non protégée après avoir caché sa séropositivité, la seule qualification que mérite un tel agissement, qui répond pleinement aux conditions de punissabilité de l’infraction, n’est pas celle d’agissement légal au sens de la loi pénale qui ressort de l’arrêt du 5 mars 2019, mais celle de viol par surprise au sens de l’article 222-23 du Code pénal. Le viol par surprise est en effet caractérisé par un acte de pénétration sexuelle, quelle que soit, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la personne, de celui qui pénètre ou de celui qui est pénétré, dont le consentement pose problème, qui est réalisé alors que le consentement de la victime n’était pas éclairé. Et, plus précisément, alors que ce consentement n’aurait pas été donné si une manœuvre trompeuse émanant de l’agent n’avait pas été réalisée, si la victime avait eu connaissance d’une information qu’elle ignorait au moment où elle a consenti. En témoigne l’arrêt du 23 janvier 2019, dans lequel il a été jugé que « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise au sens du texte susvisé »9. Or, il est difficilement niable que celui qui tait sa séropositivité de façon à obtenir une relation sexuelle non protégée dissimule ses caractéristiques physiques. De la sorte, une telle dissimulation réalisée intentionnellement caractérise le viol toutes les fois qu’elle est déterminante du consentement de la victime, c’est-à-dire toutes les fois que la victime n’aurait pas consenti à l’acte sexuel non protégé si elle avait connu l’information. Ce qui est le cas à propos de la séropositivité, aucune personne censée n’accepterait une relation sexuelle non protégée avec une autre qu’elle sait atteinte d’une maladie sexuellement transmissible mortelle ou potentiellement mortelle.

Certes, il serait possible d’objecter que l’octroi de la qualification de viol n’est possible, au regard de l’arrêt précité du 23 janvier 2019, qu’en présence d’un stratagème, sous-entendu d’un stratagème actif. De la sorte, la dissimulation de la séropositivité ne serait constitutive que si son auteur a menti, ou a réalisé des manœuvres, le cas échéant frauduleuses, destinées à cacher cette composante de ses caractéristiques physiques, ce qui ferait échapper la simple réticence aux prévisions de l’article 222-23 du Code pénal. C’est toutefois oublier l’arrêt rendu le 11 janvier 2017 en matière d’agression sexuelle, duquel il ressort « qu’en l’absence même de toute autre manœuvre, constitue le délit d’agression sexuelle commise par surprise, prévu par les articles 222-22 et 222-27 du Code pénal, le fait de profiter, en connaissance de cause, de l’erreur d’identification commise par une personne pour pratiquer sur elle des gestes à caractère sexuel comportant un contact corporel »10. Or, celui qui, en retenant l’information relative à sa séropositivité, obtient le consentement d’une personne à une relation sexuelle non protégée profite bien, en l’absence de toute autre manœuvre, de l’erreur d’identification commise par cette personne, qui a consenti car elle le croyait non contaminé. Ce qui caractérise bien la surprise constitutive au sens de l’article 222-22 du Code pénal, donc également au sens de l’article 222-23.

Aussi, au vu tant des termes de l’article 222-23 du Code pénal que de l’interprétation la plus récente qu’en fait la Cour de cassation, l’agissement consistant, pour une personne, à dissimuler sa séropositivité de façon à obtenir une relation sexuelle non protégée est un viol par surprise, soit en raison de l’utilisation d’un stratagème, soit en raison de l’exploitation de l’erreur de la victime. La solution issue de l’arrêt du 5 mars 2019 est donc parfaitement incompréhensible et à contre-courant des interprétations particulièrement bienveillantes pour la victime, parfois trop au vu des faits des espèces concernées, issues des arrêts précités des 11 janvier 2017 et 23 janvier 2019. Elle tend à légitimer des comportements objectivement criminels, en en subordonnant la sanction, de nature correctionnelle, à une éventuelle contamination du partenaire sain sur laquelle l’agent n’a aucune prise. Et à transformer ainsi les numéros des textes incriminateurs du viol et de l’administration de substances nuisibles, soit les nos 222-23 et 222-15, en numéros de loterie, au mépris de la protection des victimes de tels agissements et des atteintes portées à leur liberté sexuelle.

Issu de Gazette du Palais – n°16 – page 16

Date de parution : 23/04/2019

Id : GPL347g8

Réf : Gaz. Pal. 23 avril 2019, n° 347g8, p. 16

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 2 juill. 1998, n° 98-80529 : Bull. crim., n° 211 – Cass. crim., 10 janv. 2006, n° 05-80787 : Bull. crim., n° 11 ; RSC 2006, p. 319, obs. Mayaud Y. ; Dr. pén. 2006, comm. 30, p. 12, obs. Véron M. – Cass. crim., 5 oct. 2010, n° 09-86209 : Bull. crim., n° 147 ; Gaz. Pal. 17 nov. 2010, n° I3538, p. 21, obs. Detraz S. ; RSC 2011, p. 103, obs. Mayaud Y. ; Dr. pén. 2010, comm. 133, p. 25, obs. Véron M.
  • 2.
    Cass. crim., 14 juin 1995, n° 94-83025 : Bull. crim., n° 218.
  • 3.
    Cass. crim., 10 janv. 2006, n° 05-80787 : Bull. crim., n° 11 ; RSC 2006, p. 319, obs. Mayaud Y. – Cass. crim., 5 oct. 2010, n° 09-86209 : Bull. crim., n° 147.
  • 4.
    Cass. crim., 22 oct. 1936 : D. 1937, p. 38.
  • 5.
    Cass. crim., 18 mars 2008, n° 07-86075 : Bull. crim., n° 65.
  • 6.
    V. infra, les développements relatifs à la qualification de viol.
  • 7.
    Not. Prothais A., « N’empoisonnez plus à l’arsenic ! », D. 1998, p. 334 ; Prothais A., « Le sida ne serait-il plus, au regard du droit pénal, une maladie mortelle ? », D. 2001, p. 2053.
  • 8.
    Cass. crim., 18 juin 2003, n° 02-85199 : Bull. crim., n° 127.
  • 9.
    Cass. crim., 23 janv. 2019, n° 18-82833 : Gaz. Pal. 26 févr. 2019, n° 343b3, p. 24, note Saenko L. ; JCP G 2019, p. 203, note Saint Pau J.-C. ; D. 2019, p. 361, note Dreyer E.
  • 10.
    Cass. crim., 11 janv. 2017, n° 15-86680 : Gaz. Pal. 25 avr. 2017, n° 292v0, p. 45, obs. Detraz S. ; Dr. pén. 2017, comm. 71, p. 41, obs. Conte P.
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