Landru, par l’écrivaine Colette
Henri Désiré Landru fut surnommé « le Barbe-bleue de Gambais ». Ce « premier » tueur en série de France fut accusé d’avoir tué dix femmes et un enfant. Le procès, qui se tient aux assises de Seine-et-Oise, à Versailles, est largement médiatisé au début du XXe siècle. Condamné à mort, Landru a été guillotiné sans que le corps d’aucune victime ait été retrouvé. Le 7 novembre 1921, la chroniqueuse judiciaire, Colette, était présente pour la première journée du procès.

Le mode opératoire d’Henri Désiré Landru était le suivant : se faire passer pour un riche veuf, séduire des femmes seules possédant quelques économies, les isoler dans une de ses maisons, leur soutirer de l’argent puis les tuer et faire disparaître les corps.
« Monsieur sérieux, ayant petit capital, désire épouser veuve ou femme incomprise, entre 35 et 45 ans, bien sous tous rapports, situation en rapport », fait-il paraître dans la presse. Avec plus de 90 pseudonymes, il fait ainsi la connaissance de près de 300 femmes. Après plusieurs signalements de disparitions inquiétantes, l’enquête met les policiers sur la piste de Landru. Lors des perquisitions, des objets ayant appartenu aux femmes disparues sont découverts, ainsi que des restes d’ossements humains et de la cendre en grande quantité dans la cheminée, la cuisine et le hangar. Son journal, répertoriant chaque rencontre, est retrouvé.
Son arrestation fait la une de la presse de l’époque et subjugue le Tout-Paris. Il est arrêté en août 1919. Aux élections législatives qui suivirent, des milliers de bulletins de vote portent son nom.
Le procès s’ouvre le 7 novembre 1921 devant la cour d’assises de Seine-et-Oise, à Versailles, après 18 mois d’instruction. Dans la salle, de nombreuses personnalités s’y pressent comme le chanteur, Maurice Chevalier ou l’actrice, Mistinguett. Toute l’aristocratie veut apercevoir le « vilain barbu ».
Colette, chroniqueuse judiciaire
Née en 1873, Colette a déjà une belle carrière derrière elle lorsqu’elle assiste au procès de Landru. Ce n’est pas la première fois qu’elle couvre des affaires criminelles pour la presse. On a déjà pu lire ses comptes rendus du procès Guillotin en 1912 ou encore de la bande à Bonnot l’année suivante. C’est à nouveau pour le journal Le Matin qu’on la retrouve début novembre 1921. Son portrait de Landru est resté dans les mémoires. « Voici Landru ! écrit-elle. Ni génial, ni difforme, un œil qui n’est point humain, le regard d’un fauve encagé, attentif et lointain, maniaque, lucide, impénétrable, tel apparaît à cette première audience l’homme aux 283 fiancées. » En ce premier jour d’audience, la salle « petite, dépourvue de majesté », dit-elle, « s’ennuie parce que la Cour se fait attendre ». Mais celui qu’on attend, c’est surtout Landru, « lui qui attire et retient tous les regards, lui, cent fois photographié, caricaturé, reconnu de tous et différent pourtant de ce qu’on connaît de lui. Voilà bien la barbe, lui calvitie popularisée ; le sourcil crêpé, comme postiche. Mais cet homme maigre porte sur son visage quelque chose d’indéfinissable qui nous rend tous circonspects un peu plus, j’écrivais déférents. » Avec Colette, on est assis avec cette femme, derrière elle, qui chuchote : « Il a vraiment l’air d’un monsieur ». Puis, un dessinateur dit : « Il est bien convenable, on jurerait un chef de rayon à la soie. »
Comme le raconte l’écrivaine, « la foule n’émettra jamais d’opinion unanime sur Landru. L’homme aux cinquante noms, l’homme aux deux cent quatre-vingt-trois aventures féminines, même, sans bouger, et avant qu’il ait parlé, est déjà Protée. Séduisant, ce séducteur ? Correct, certainement. Faunesque, verlainien comme on l’a décrit ? Non. Ni génial, ni difforme. Au-dessus des vertèbres maigres du cou, le crâne est beau, et peut couver l’intelligence, qui sait, l’amour. Pour ce qui est de la face, sa ressemblance évidente avec l’ancien député, Ceccaldi, le Ceccaldi de Caillaux, frappe, et gêne un moment, puis on l’oublie. On l’oublie quand on a vu l’œil de Landru. Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n’est point humain. C’est l’œil de l’oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s’il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondables qu’on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l’y trouve pas. » À la lecture des chefs d’accusation, Colette observe sa respiration, qu’elle dit « lente, égale ». Il ne tremble pas. Il prend des notes, « attentif et lointain tout ensemble ». « Il laisse voir que le bruit l’incommode. Il se mouche posément, plie son mouchoir en carré, rabat le petit volet de sa poche extérieure. Qu’il est soigneux ! »
A-t-il tué ? se demande-t-elle. « S’il a tué, je jurerais que c’est avec ce soin paperassier, un peu maniaque, admirablement lucide, qu’il apporte au classement de ses notes, à la rédaction de ses dossiers. A-t-il tué ? Alors c’est en sifflotant un petit air et ceint d’un tablier par crainte de tâches. Un fou sadique Landru ? Que non. Il est bien plus impénétrable, du moins pour nous. Nous imaginons à peu près ce que c’est que la fureur lubrique ou non, mais nous demeurons stupides devant le meurtrier tranquille et doux, qui tient un carnet de victimes et qui peut-être se reposa, dans sa besogne, accoudé à la fenêtre et donnant du pain aux oiseaux. » Elle croit, écrit-elle, « que nous ne comprendrons jamais rien à Landru, même s’il n’a pas tué », car « sa sérénité appartient peu au genre humain. »
Elle termine son texte : « Pendant l’essai d’armes, la passe rapide et menaçante entre Me de Moro-Giafferri, chat-tigré dont la griffe brille, blesse puise se cache, et l’avocat général Godefroy, tout enveloppé de ruse ursine, Landru semblait rêver au-dessus d’eux, retiré de nous, retourné peut-être à un monde très ancien, à une époque où le sang n’était ni plus sacré ni plus horrible que le vin ou le lait, un temps où le sacrificateur, assis sur la pierre ruisselante et tiède, s’oubliait à respirer une fleur… Coupable, Landru ressemblerait-il à ces asiatiques et suaves bourreaux ? J’oubliais la « question d’argent ». Et Me de Moro-Giafferri n’est pas de mon avis. La lucidité, la mémoire classificatrice et procédurière de son client l’enchantent : Qu’on l’acquitte, s’écriait-il hier dans le vestibule, et je le prends comme secrétaire ! »
La condamnation
Reconnu coupable de 11 meurtres, Landru est condamné à mort le 30 novembre 1921. Avant de quitter la salle, il aurait demandé un autographe à Colette, le dernier jour du procès. Il est mort guillotiné le 25 février 1922 à la prison Saint-Pierre de Versailles. Le dossier d’instruction est aujourd’hui conservé aux archives départementales des Yvelines, avec une série de photographies, caricatures et revues de presse réalisée au moment du procès.
À son avocat qui, au pied de l’échafaud, lui demandait si finalement il avouait avoir assassiné ces femmes, Landru aurait répondu : « Cela, Maître, c’est mon petit bagage… »
Référence : AJU016s3
