Policière blessée à Créteil : « Chaque fois qu’il retourne au quartier, on paie les pots cassés ».

Publié le 25/03/2021

Un étudiant comparaissait début mars au Tribunal judiciaire de Créteil pour des violences volontaires commises sur une policière de la Bac au cours d’un contrôle sur « un lieu de stup’ ». Erreur policière, accident de parcours d’un bon élève ou récidive ? Les juges ont dû trancher.

Policière blessée à Créteil : « Chaque fois qu’il retourne au quartier, on paie les pots cassés ».
Photo : ©P. Anquetin

Amine J. la petite vingtaine, gracile, comparaît libre à la barre du tribunal correctionnel de Créteil le 8 mars 2021. Il semble à la fois détendu et concentré. D’une voix douce, avec une élocution parfaite, il raconte son parcours.

Il a grandi dans le Val-de-Marne, suivi des études dans une école d’ingénieur et prépare un master en sécurité environnementale des projets industriels.  « Ma moyenne est de 11,35. Je dois repasser l’oral de stage. » Il travaille pour une grande entreprise de transports. « Oui, je suis toujours célibataire », dit-il un peu désolé en écartant les mains.

En plus des diplômes, il a aussi un casier judiciaire : consommation de stupéfiants, rébellion et outrage en 2017. « Je ne fume plus du tout, je suis prêt à me soumettre à un contrôle », promet-il en tendant les mains d’un geste naturel. Il a l’air doux comme un agneau ; on lui reproche pourtant d’avoir foncé comme un bélier sur une policière au cours d’un contrôle, et de l’avoir blessée.

« Mon genou est plié »

La brigadière de la Bac est venue à l’audience. La trentaine, déterminée, en colère. Elle raconte les faits remontant au 23 décembre 2019 – l’audience a été plusieurs fois reportée.

« Nous venions faire un contrôle sur un lieu de stup’. Il y avait trois individus. Le troisième, on le connaît, c’est son secteur, c’est lui qui a le produit. Il faut l’attraper, c’est le but. Je suis chef de bord, je mets en place la tenaille. » Ils sont quatre policiers pour prendre en tenaille les trois hommes.

Elle décrit alors comment le premier se « jette » sur l’un de ses collègues, comment le deuxième, Amine J., le prévenu, vient vers elle en courant. « Il me fauche au genou. Mon genou est plié à l’envers. Je hurle. Mon collègue l’attrape et le plaque au sol. » Pendant ce temps, le troisième, « qui a le produit », s’échappe et disparaît dans la cité. L’opération est un échec, la brigadière finit sur la carreau.

La déposition des collègues confirme sa version. « Quand ils nous ont vus, ils ont crié : « Putain, la police, on se casse, on se casse ! » Monsieur J. s’est jeté alors sur la brigadière, l’épaule contre son genou. Elle hurle de douleur. Il court, il est rattrapé. »

Amine J. agite ses mains :

« — C’est pas moi qui l’ai percutée, Madame la présidente, absolument pas. J’étais au sol, arrêté.

— La consommation de stupéfiants, c’est légal ou pas ?

— C’est illégal.

— Vous la contestez la consommation de stupéfiants ?

— Non, je ne conteste pas. »

« Prendre un peu de recul sur cette journée »

Il raconte que ce 23 décembre, il avait passé un examen sur le développement durable pour son diplôme. Il est sorti à 18 heures et n’a pas pu rentrer chez lui à cause d’une « grève des gilets jaunes dans les transports ». Il est donc revenu chez sa mère, dans son quartier… Ses mains se promènent devant lui comme s’il jouait une sonate légère.

«—  J’ai voulu prendre un peu de recul sur cette journée. J’ai rencontré Djibril. Il était avec une personne que je ne connaissais pas vraiment. On parlait des examens. Cinq minutes après, je me suis fait attraper par derrière.

— Vous n’avez pas vu les brassards ?

— Je n’ai pas vu, pas entendu la police. On m’a plaqué au sol. Alors j’ai compris que c’était la police.

— Il y a des vidéos. Dans l’interpellation vous n’êtes pas passif…

— Si je vois des policiers à dix mètres de moi, je ne vais pas foncer sur eux alors que j’ai un travail derrière. C’est pas dans ma personnalité de vendre des stup’ et d’aller agresser une femme, une personne dépositaire de l’autorité publique ».

« J’ai dû changer de voie »

La policière décrit sa vie après l’attaque : cinq mois sans marcher, les séances de kinésithérapie, les frais de taxi, son fils qui rate l’école quand elle ne peut pas l’emmener, les séquelles, « un handicap de tous les jours »… Elle doit faire une croix sur le sport de haut niveau qu’elle pratiquait et surtout abandonner le métier qu’elle aimait : « La Bac me convenait. Je ne peux plus courir, je ne peux plus être sur le terrain. J’ai dû faire une reconversion forcée dans d’autres services. » Sa voix tremble, elle contient son émotion à grand peine.

Son avocate joue la colère froide : « Elle est déçue : après tant de renvois, Monsieur J. est encore dans le mensonge. On a quatre fonctionnaires de police qui sont victimes de violences volontaires, de rébellion. » L’avocate réclame 900 € pour le préjudice moral et un nouveau renvoi pour les intérêts civils, le temps d’observer la consolidation du genou blessé.

Six mois fermes requis

« Dans les témoignages des policiers, c’est clair. Dans la déposition de Monsieur J, ce n’est pas clair. C’est un acte de violence coordonnée » commente le procureur qui requiert six mois fermes.

L’avocat de la défense, lui aussi est en colère. « Je n’ai pas caché mon agacement. Je suis le seul à encore vouloir un peu de procédure. » Une procédure émaillée de « zones d’ombre » : aucun stupéfiant trouvé sur lui ou chez lui, une interpellation de nuit sous des lampadaires clignotants, sans photo, sans identification formelle. Pour l’avocat, les déclarations du prévenu et des policiers « sont sur le même plan probatoire. Que Madame ait été heurtée, oui. Que ce soit par Monsieur J., non. » Par précaution, il sollicite un aménagement de peine en cas de condamnation à de la prison ferme.

« Je travaille. Je ne vois pas pourquoi j’aurais été agressif » ponctue Amine, les main en volutes devant lui.

Il est reconnu coupable et condamné à six mois fermes avec un aménagement sous forme de surveillance électronique, et 300 € de préjudice moral. Les intérêts civils seront fixés en septembre 2021.

Un ami d’Amine, qui l’a soutenu avec assiduité tout au long de l’audience et pendant la longue attente du délibéré, commente : « Il a quitté le quartier, mais chaque fois qu’il y retourne, on en paie les pots cassés ! »

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