Assassinat de S. Paty : Le procès du mensonge et de la djihadosphère
Le procès de l’attentat contre Samuel Paty, le 16 octobre 2020, s’est ouvert ce lundi 4 novembre devant la cour d’assises spécialement composée au palais de justice de Paris. Parmi les accusés figurent le père de l’élève qui a accusé à tort son professeur, l’activiste auteur des vidéos dénonçant la prétendue faute de Samuel Paty, deux amis du terroriste, et quatre internautes actifs dans la djihadosphère.
Palais de justice de Paris, lundi 4 novembre, 9h30. Un froid soleil d’automne a remplacé la grisaille des jours précédents. Mais les promeneurs ne sont pas tout à fait libres de flâner sur l’Ile de la Cité. Cars de police et barrières anti-émeutes bloquent l’accès au palais. Celui-ci est en effet sous haute surveillance pour plusieurs semaines en raison du procès de l’attentat contre Samuel Paty. C’est le quatrième dossier terroriste jugé dans la salle des grands procès cette année, et le dernier avant que cette infrastructure conçue sur mesure pour les attentats du 13 novembre ne soit démontée. Avant lui, en 2024, on a jugé l’attentat de Trèbes-Carcassonne (le 23 mars 2018 – 4 morts, 15 blessés), qui a notamment coûté la vie au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, l’attentat de Strasbourg (le 11 décembre 2018 – 5 morts, 11 blessés), puis celui de Peter Cherif, accusé d’avoir participé à la conception de l’attaque contre Charlie Hebdo le 11 janvier 2015 – 12 morts, 11 blessés).
L’émotion encore vive
À l’intérieur du palais, l’effervescence qui précède l’ouverture de l’audience est nettement plus intense que lors des précédents procès jugés en 2024, preuve de l’émotion suscitée par l’assassinat de Samuel Paty est très vive et que l’opinion n’est pas encore passée à autre chose. La file d’attente s’allonge devant les portiques de sécurité. Personnel d’aide aux victimes, gendarmes, avocats et journalistes s’affairent, en habitués des lieux, tandis que les parties civiles et le public tentent de s’orienter dans cet univers codifié qui leur est étranger. L’immense salle d’audience n’est qu’à moitié pleine lorsque la cour y fait son entrée à 10h05.
À sa tête, Franck Zientara, qui avait déjà présidé la cour d’assises spécialement composée lors du procès d’Abdelkader Merah, le grand frère de Mohamed Merah, en octobre 2017. À l’époque, il avait déclaré en ouverture des débats «La justice a besoin de calme. Les faits sur lesquels nous allons nous pencher sont terribles et ont suscité un vif émoi. L’unique objet de ce procès est de déterminer si les accusés ici présents sont coupables.» Pas un mot cette fois d’introduction. Le président procède immédiatement à la première des arides mesures procédurales qui ouvrent traditionnellement les procès d’assises : la vérification d’identité des accusés. Dans les affaires terroristes, cette étape renseigne déjà sur la suite possible des débats. Certains accusés en effet en profitent pour faire des déclarations religieuses, d’autres peuvent choisir de refuser de répondre. Cette fois, tout s’est passé normalement.
Les trois cercles d’accusés
Deux hommes risquent plus que les autres, ce sont ceux du premier cercle, les amis du terroriste Abdoullakh Anzorov. À l’appel de son nom, Nabil Boudaoud est le premier à se lever dans le box. Mince, pull gris et pantalon noir, l’homme âgé de 22 ans répond au président qu’il est titulaire d’un BTS et était à la recherche d’un emploi au moment de son arrestation. Comme dans beaucoup de procès terroristes, l’auteur des faits est mort en affrontant la police. La justice s’intéresse donc à ceux de son entourage qui ont pu connaître son projet et l’aider à le réaliser. Précisément, elle accuse Nabil Boudaoud d’avoir aidé Anzorov à trouver une arme et de l’avoir conduit sur le lieu des faits. Il encourt la perpétuité pour complicité. Tout comme l’autre ami du terroriste, Azim Epsirkhanov. Âgé de 23 ans, cet homme né en Russie a choisi de se présenter en costume sombre, chemise claire et cravate bleue devant la cour. Une allure soignée qui fait davantage penser à un candidat pour un premier poste dans une banque qu’à un accusé dans un procès pour assassinat. Il doit répondre de complicité pour avoir aidé Anzorov à trouver une arme.
Les vidéos de la haine
Le deuxième cercle est composé des auteurs des vidéos. Brahim Chnina, 52 ans, né en Algérie, comparait également détenu. C’est le père de l’élève qui a accusé injustement Samuel Paty. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. La justice lui reproche d’avoir, avec le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, assis dans le box lui aussi, élaboré et diffusé des vidéos contenant des informations fausses pour susciter la haine contre Samuel Paty, de l’avoir désigné comme une cible et d’avoir diffusé des renseignements précis sur son identité et son lieu d’exercice professionnel. Avant d’être incarcéré, Brahim Chnina travaillait dans le transport de malades. Parmi ses avocats, figure le célèbre Frank Berton. Ces deux accusés encourent 30 ans de réclusion criminelle. Les avocats d’Abdelhakim Sefrioui ont commencé bien avant le procès à développer leur ligne de défense auprès des médias. Me Vincent Brengarth a ainsi attiré l’attention sur le fait que rien ne démontrait que le terroriste avait vu les vidéos incriminées. Un autre de ses avocats, Me Ouadie Elhamamouchi, a expliqué face caméra ce lundi que son client était le seul à n’avoir aucun lien avec le terroriste.
Des smileys pour saluer l’attentat
Enfin, le troisième cercle est celui de la djihadosphère. Yusuf Cinar, 22 ans, veste marron et noir, cheveux longs, courte barbe est le seul du groupe qui comparait détenu. Originaire d’Évreux, comme Anzorov, la justice lui reproche d’avoir appartenu au même groupe Snapchat que le terroriste, de l’avoir conforté dans son projet, puis d’avoir diffusé sa vidéo de revendication ainsi que des vidéos d’hommage après l’attentat. Il est poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste (30 ans encourus). Comme aux autres, le président indique qu’il a le droit de garder le silence, son « ouais, j’ai capté » en réponse au « Vous avez compris ? » fait sourire la salle. C’est la rencontre de deux mondes, celui du magistrat en robe rouge au langage juridique châtié, et celui des quartiers.
Les trois autres accusés, comparaissent libres, ils sont assis au premier rang des bancs de la défense. À les voir, on croirait des étudiants en école de commerce comme il en existe des milliers. Ismael Gamaev, 22 ans, né en Russie, étudie la gestion, il se présente en pull vert sur un tee-shirt. Louqmane Ingar, 22 ans aussi, né à La Réunion, également étudiant, a mis une veste de costume sur un pull à col rond. Mais le dossier raconte une histoire moins lisse que leur look sage. Ils appartenaient avec Anzorov au même réseau Snapchat d’échange de contenus djihadistes ayant pour objectif le départ dans des zones occupées par les terroristes. Ils ont encouragé Anzorov dans son projet puis posté des smileys en réaction à la photo de la tête coupée de Samuel Paty. Ils sont accusés aussi, pour le premier, d’avoir participé à la préparation d’un autre projet terroriste et, pour le second, d’avoir envisagé de rejoindre l’Afghanistan ou la Syrie.
« Apparemment Charlie Hebdo en redemande »
Reste Priscilla Mangel, la seule femme et le profil le plus intrigant du dossier. Née en 1988, à Meudon, cette nîmoise radicalisée, active sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de « cicatrice sucrée », est habillée de noir, la tête recouverte d’un foulard marron qui retombe sur ses épaules. En réponse à une question du président, elle se déclare sans profession. La justice lui reproche d’avoir tweeté lorsque Charlie Hebdo a indiqué en septembre 2020 vouloir republier les caricatures « Apparemment Charlie Hebdo en redemande » et surtout d’avoir correspondu sur Twitter avec Anzorov en lui présentant le cours de Samuel Paty comme une illustration de la guerre contre les musulmans. Elle est aussi poursuivie pour association de malfaiteurs terroriste.
Après avoir précisé que le procès était enregistré pour l’histoire, le président passe à l’appel des parties civiles. Il y a beaucoup d’avocats habitués de ces procès terroristes, parmi lesquels notamment Me Thibault de Montbrial pour la FENVAC, (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs), Me Antoine Casubolo pour l’AFVT (Association française des victimes du terrorisme), mais aussi une figure inattendue en la personne de Me Francis Szpiner, qui représente le fils mineur de Samuel Paty et son ex-compagne, tandis que les parents sont défendus par Me Virginie Le Roy. Se sont également constitués parties civiles, des professeurs du collège, l’association des parents d’élèves de l’établissement, le syndicat SNES (Syndicat national des enseignants du second degré) et plusieurs policiers intervenus sur le lieu de l’attentat.
Une quinzaine de témoins manque à l’appel
La suite de cette aride procédure consiste à faire l’appel des témoins. Ici ils sont plus de cent. Au total, seule une poignée d’entre eux s’est déplacée le premier jour. Une quinzaine est introuvable, parmi lesquels deux des élèves de l’établissement condamnés en 2023 par la cour d’assises des mineurs pour leur participation à l’attentat (voir encadré). « La sanction pénale à des effets manifestes sur eux en ce qui concerne le respect de la justice » ironise Me Francis Szpiner.
Il est 11 h 45, cette première matinée d’audience s’achève. Le président annonce le planning : la cour commencera par examiner lors des semaines deux et trois la question de l’éventuelle complicité des deux amis du terroriste (Nabil Boudaoud et Azim Epsirkhanov), puis en semaine trois et quatre, ce qui a « catalysé la haine » à savoir les vidéos réalisées par Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui et, enfin, comment la djihadosphère a pu contribuer au drame (Yusuf Cinar, Ismael Gamaev, Lougmane Ingar et Priscilla Mangel ). Le public qui a fini par remplir la salle au fil de la matinée sort déjeuner. L’après-midi sera consacrée à la lecture du rapport du président qui présente en détail les faits à juger.
Mardi commencera l’examen du parcours de chacun des huit accusés.
Un premier procès s’est tenu en 2023 pour les mineurs
En novembre 2023, la justice a jugé six collégiens de l’établissement de Samuel Paty. L’élève qui a porté de fausses accusations contre son professeur (13 ans au moment des faits) a été condamnée pour dénonciation calomnieuse à dix-huit mois avec sursis. Quatre des cinq collégiens ayant désigné leur professeur au terroriste ont été condamnés pour association de malfaiteurs terroriste à des peines allant de 14 à 18 mois de prison. Le cinquième à 24 mois, dont six mois ferme sous bracelet électronique.
Référence : AJU479689