Assassinat de S. Paty : « Mme. Fouillard aurait dû me dire que ma fille était absente du cours »

Publié le 04/12/2024

Lundi 2 décembre, la cour d’assises a interrogé pendant toute une journée le père de l’élève qui a menti, Brahim Chnina. Selon lui, tout aurait été différent si Abdelhakim Sefrioui n’avait pas été là et si la principale lui avait dit que sa fille était absente.

Assassinat de S. Paty : « Mme.  Fouillard aurait dû me dire que ma fille était absente du cours »
La salle d’audience des grands procès où siège la cour d’assises spécialement composée (Photo : ©P. Cabaret)

Pull blanc à col rond sur une chemise bleue, Brahim Chnina, 52 ans, se lève dans le box pour affronter une journée d’interrogatoire sur les faits.  Il comparait pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. On lui reproche ses messages sur WhatsApp le 7 mercredi octobre 2020 contre ce « voyou » de Samuel Paty, la publication des renseignements permettant d’identifier le professeur et son collège, puis la diffusion d’une vidéo. Le tout en étroite coopération avec son co-accusé Abdelhakim Sefrioui. « Je regrette infiniment ce que j’ai fait, je ne suis pas un terroriste et je ne fais pas partie d’une association de malfaiteurs terroriste. J’ai fait une vidéo et des messages qui ont mal tourné » commence-t-il par expliquer. C’est donc sa ligne de défense.

« Un islam de France, ouvert »

Elle consiste en quelques idées force répétées en boucle qui visent à atténuer sa responsabilité en ramenant les faits à la simple réaction d’un « papa poule » un peu trop naïf qui voulait défendre sa fille contre une discrimination. Loin, très loin des caricatures et du terrorisme. Cela suppose d’abord d’écarter tout soupçon de radicalisation. Brahim Chnina assure pratiquer l’« Islam de France ouvert » que ses parents lui ont enseigné et qu’il transmet à son tour à ses enfants ». Le dossier raconte autre chose. La sonorisation de ses appels téléphoniques en prison a révélé en effet que, pendant le ramadan, il appelle ses filles à quatre heures du matin pour s’assurer qu’elles font leurs prières et lisent le Coran. Interrogée sur ce point, sa fille Zohra s’est retrouvée en difficultés et a finalement botté en touche (notre article ici). Brahim Chnina  reconnait ces appels au moment de la coupure du jeûne pour leur dire « c’est bientôt l’heure » et parfois leur rappeler la nécessité de lire le Coran, simplement parce que durant le Ramadan, « on pratique un peu plus ».

« Les attentats donnent une mauvaise image de l’Islam »

L’accusé en profite pour préciser à intervalles réguliers qu’« Ici on a la chance d’être Charlie ou de ne pas être Charlie », qu’il est en France depuis 42 ans et ne s’émeut plus des caricatures et, enfin, qu’il est « contre les attentats qui donnent une mauvaise image de l’islam qui veut dire paix »« Dans un de vos messages, vous dites que le professeur s’est « vanté » d’avoir participé à Charlie » l’interroge le président. « J’ai retransmis ce que m’a dit ma fille, je pensais qu’il obligeait à être Charlie alors qu’on peut ne pas l’être » se défend-il. En fin de journée, il tentera même de dire que s’il n’avait pas eu un empêchement, il se serait rendu à la manifestation en soutien à Charlie, provoquant la sidération sur le banc des parties civiles.

« Sois ferme contre ce porc »

Son deuxième axe de défense consiste à expliquer que tout s’est passé un peu « à l’insu de son plein gré » et qu’il a été dépassé par les événements. C’est parce que sa fille lui ment qu’il poste des messages le 7 octobre, parce qu’un contact lui demande des renseignements précis qu’il les rend publics, parce que Abdelhakim Sefrioui – qu’il a connu dans le cadre d’une action humanitaire en Palestine – lui propose son aide qu’il consent à tourner la vidéo, mais aussi à déposer plainte et à organiser une manifestation qui devait avoir lieu le week-end de l’assassinat. C’est aussi en raison de la présence d’ A. Sefrioui qu’il ne dit rien lorsque la principale lui explique que sa fille est exclue deux jours du collège non à la demande de Samuel Paty pour avoir tenu tête à un cours injuste, mais en raison de ses nombreuses fautes disciplinaires. Une avocate des parties civiles parviendra à lui faire dire en fin de journée qu’il poursuit le mensonge pour sauver la face.

Et puis il y a eu les pressions. Relayés par le compte d’une de ses relations bien plus puissant que lui sur les réseaux sociaux, ses messages déclenchent un « tsunami » de réactions, sa vidéo fait 100 000 vues, son téléphone n’arrête pas de sonner. Il tente de répondre à tout le monde, mais c’est impossible. C’est pourquoi, explique-t-il devant des juges et des parties civiles sceptiques, il n’a pas vu les messages les plus violents et n’a donc pas mesuré le danger qu’il faisait courir à Samuel Paty. À un correspondant qui lui écrit « sois ferme contre ce porc », il répond « merci beaucoup pour votre soutien ».  Il répond sans même lire les messages, en travaillant ou en conduisant, se justifie-t-il. Quand un autre lui dit  « il faut lui briser le dos », il répond « merci » et un terme en arabe qui signifie qu’il est d’accord. « Ce ne sont que des mots », rétorque l’accusé à bout d’arguments.  Le plus embarrassant pour lui est une conversation d’une minute et vingt secondes avec le terroriste Anzorov, dont il assure qu’elle s’est limitée à un échange de politesses et un message de soutien.

 « J’aurais dû avoir une discussion entre hommes avec M. Paty »

En définitive, la situation s’est emballée. Lui ne voulait que défendre sa fille ; il regrette de s’être emporté. D’ailleurs, il retire les mots « malade » et « voyou » utilisés contre Samuel Paty dans ses messages le soir du 7 octobre et s’en excuse « J’ai été bête et stupide, je voulais juste protéger ma fille, j’utilise les réseaux pour l’humanitaire, jamais pour ma situation ou un problème de famille ». À l’en croire,  il n’avait d’autre objectif sur Whatsapp que de rechercher des témoignages.

« Vos publications ne sont pas interrogatrices « il faut virer ce malade », c’est plutôt une démarche accusatrice », objecte le président avec une calme neutralité dont les accusés ne se méfient pas assez. Réponse : « J’étais pas bien au fond de moi-même. J’aurais dû avoir une discussion entre hommes avec M. Paty et tout cela ne serait jamais arrivé ». De même, s’il diffuse  le nom du collège, celui du professeur et sa fonction, c’était simplement pour que ses lecteurs puissent écrire à l’inspection académique, argumente-t-il. Il s’intéresse habituellement si peu aux questions de scolarité qu’il est obligé d’appeler trois fois sa femme pour savoir le nom de l’enseignant qu’il est en train de livrer à la vindicte des réseaux sociaux.

De fait, il ignore beaucoup de choses à propos du collège. Par exemple, le fonctionnement de la messagerie, qu’il aurait dû utiliser pour demander un rendez-vous, au lieu de se présenter jeudi 8 octobre au collège en compagnie d’un tiers, Abdelhakim Sefrioui, en exigeant un rendez-vous.  Ou bien encore les frasques de sa fille. « La seule fois où j’ai vu qu’elle avait beaucoup de sanctions, c’était lors de la réunion avec Mme Fouillard (la principale). J’ai délégué les choses à ma femme et j’intervenais lorsque la situation était grave ».

« On était tous les deux énervés parce qu’il faisait froid »

 Quand les deux hommes arrivent, le lendemain jeudi 8 octobre, devant l’établissement pour exiger d’être reçus, on leur répond de prendre rendez-vous. Ils refusent, précisant que l’un d’entre eux est un imam important. Ils ont l’air si agressifs qu’une femme se cache sous une table lorsqu’ils tapent à la vitre pour exprimer leur impatience. Si on avait été juifs on aurait eu le droit de patienter à l’intérieur, s’indignent-ils. Le président tente de comprendre leur attitude qui a tant effrayé le personnel.

« — On est des personnes âgées, se justifie Brahim Chnina,

— Vous aviez 48 ans, lui rappelle le président (A. Sefrioui 61 ans en 2020).

— Vers la fin, on était tous les deux énervés parce qu’il faisait froid, on ne comprenait pas qu’on ne nous laisse pas entrer, admet l’accusé.

— On évoque des températures de 16°

—  Il y avait du vent ».

Ils sont finalement reçus, par la principale A. Fouillard qui constate rapidement qu’aucun dialogue n’est possible. Les deux hommes traitent le professeur de « voyou » qui a  montré le prophète nu. Elle propose à Brahim Chnina de revenir le lendemain s’expliquer avec Samuel Paty, mais il refuse de voir celui qu’il ne cesse de qualifier de « voyou ».  C’est une fois rentré chez lui qu’il aura un remords, mais lorsqu’il revient le vendredi matin pour le voir, le collège refuse de le laisser entrer. La veille au soir il est allé au commissariat porter plainte contre le professeur, qu’il attende désormais le résultat de l’enquête.

Brahim Chnina répète à plusieurs reprises qu’il aurait suffi que Madame Fouillard lui dise que sa fille n’assistait pas au cours du mardi pour que tout s’arrête, qu’il retire ses messages et la vidéo et même qu’il informe ses contacts que sa fille lui avait menti. Et Samuel Paty serait toujours vivant. Sur les bancs des parties civiles, c’est peu dire que l’argument indigne. D’abord parce que leur fille ce jour-là est restée à la maison pour un problème de santé, avec l’assentiment de sa mère. Il est donc difficile de croire qu’il l’ignorait. Ensuite, parce qu’il a reçu plusieurs alertes sur le possible mensonge de sa fille, dont il n’a pas tenu compte. Mais aussi parce qu’on lui rappelle que, précisément, il n’avait pas confiance dans la principale dont il pensait qu’elle lui mentait. Peu importe, il insiste. « Maitre, acceptez que Mme Fouillard avait deux occasions de me dire que ma fille n’était pas au cours », insiste l’accusé auprès de Me Montbrial, l’avocat de la principale. « Non, je n’accepte pas » tacle l’intéressé.

« Le père a mis une fatwa numérique sur Samuel Paty »

Assassinat de S. Paty : « Mme.  Fouillard aurait dû me dire que ma fille était absente du cours »
Me Virginie Le Roy, avocate des parents et d’une des soeurs de Samuel Paty, le 4 novembre (Photo : ©P. Cabaret)

Il faut dire que les parties civiles n’adhèrent pas à grand-chose dans le récit qu’a déroulé l’accusé durant plusieurs heures. En particulier, elles sont persuadées que Brahim Chnina a lancé une fatwa contre Samuel Paty, ce qu’illustre tant le vocabulaire de ses messages que ce qu’une avocate qualifie d’ »acharnement » pendant huit jours : messages, visites au collège, vidéos, plainte au commissariat, appel au rectorat, saisine de l’inspection académique, préparation d’une manifestation…L’avocate d’une partie de la famille Paty, Me Virginie Le Roy, l’interroge :  « J’ai rappelé à votre fille les propos de son conseil devant le tribunal pour enfant, il a dit « le père a mis une fatwa numérique sur Samuel Paty », qu’en pensez-vous ?

— Je ne suis pas d’accord.

— Alors vous êtes responsable de quoi ?

— Des messages et des vidéos

— Et ce n’est pas une fatwa ?

— Non, parce que je ne voulais pas lui faire de mal ».

Et s’ils ont lancé cette fatwa, toujours selon les parties civiles, ce n’est pas à cause de la soi-disant discrimination mais bien parce que Samuel Paty a montré des caricatures du prophète, dont celle qui le figure nu. Une conversation entre la femme de Brahim Chnina et une amie juriste de celle-ci accrédite l’idée que c’est bien les caricatures qui le révoltaient, d’ailleurs la spécialiste conseille d’éviter ce terrain et de se concentrer sur la discrimination qui est une faute.

Me Francis Szpiner, l’avocat du fils de Samuel Paty, reprend en fin de journée les messages postés le 7 octobre.   Le premier dénonce le fait d’avoir montré « notre cher bien aimé prophète tout nu ». Le deuxième donne le nom du collège et du professeur après avoir dénoncé le blasphème. Le troisième dit « soyons fiers de notre religion et de notre prophète ». Le quatrième  évoque la participation de Samuel Paty à la marche pour Charlie.

— Vous reconnaissez que le blasphème c’est aussi important que la discrimination ? interroge l’avocat.

— Oui, mais, je ne sais pas pourquoi vous bloquez sur le blasphème

— Parce qu’on l’a tué pour ça ! »

 

 

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