Attentat contre Charlie : Ce que révèle l’enquête de la DGSI sur le rôle de Peter Cherif

Publié le 27/09/2024

Mercredi 25 septembre, après avoir entendu la mère et le beau-père de Peter Cherif, la cour s’est penchée sur le cœur du dossier, à savoir le rôle joué par l’accusé dans l’attentat contre Charlie.

Attentat contre Charlie : Ce que révèle l'enquête de la DGSI sur le rôle de Peter Cherif
Salle des grands procès du palais de justice de Paris lors de la rentrée solennelle de la cour d’appel de Paris en 2023 (Photo : ©P. Cabaret)

Mardi, Peter Cherif a avoué pour la première fois qu’il avait bien été le fameux français décrit par les humanitaires pris en otage par AQPA (Al Qaida dans la Péninsule arabique) en 2018, tout en précisant qu’il n’approuvait pas ces enlèvements et avait agi sous la pression. Mercredi, la cour, après avoir entendu les parents de Peter Chérif le matin (notre article ici), a auditionné une enquêtrice de la DGSI sur les liens entre Peter Cherif et l’attentat contre Charlie Hebdo. commis le 7 janvier 2015 par les frères Kouachi.

« Une ascension fulgurante au sein d’AQPA »

Depuis l’écran de visioconférence jaillit une voix de femme calme et posée. Elle déroule le faisceau d’éléments qui a convaincu ses services que Peter Chérif avait joué un rôle déterminant dans l’attentat revendiqué par AQPA. L’intéressé n’a jamais répondu aux questions des enquêteurs sur ce sujet autre chose que « je joue trop gros », raconte-telle. « Quand les preuves se faisaient trop difficile, il s’isolait en fermant les yeux pour prier ». Elle souligne que c’est une personnalité hors normes dans sa capacité à se taire quand il le décide, mais aussi un djihadiste au parcours hors normes. Il est parti combattre en Irak quand c’était encore confidentiel, puis il a connu une « ascension fulgurante auprès d’AQPA » souligne-t-elle. Lors d’une précédente audition de la DGSI on a appris en effet qu’il y était resté sept ans, avait obtenu la confiance des plus hauts cadres de l’organisation, au sein de laquelle il avait occupé de multiples fonctions témoignant de l’intérêt de son profil et de la confiance qui lui était accordée.

Peter Cherif, mentor de Chérif Kouachi

Les enquêteurs ont la conviction que c’est lui qui a fait venir Chérif Kouachi au Yémen, lui qui a facilité son entrée au sein d’AQPA, lui encore qui a participé à son entrainement, le tout dans la perspective de commettre l’attentat contre Charlie. Les deux hommes sont liés par une amitié ancienne, dans laquelle Peter Cherif joue le rôle de mentor. Il l’a incité à aller aux cours de Farid Benyettou, (le prédicateur aujourd’hui repenti de la filière des Buttes Chaumont), puis à partir en Irak.  Cherif Kouachi était très attaché à Peter Cherif. Quand ce-dernier part en Irak, il y va aussi. Quand il s’enfuit en Tunisie, il tente d’y aller. Quand il arrive au Yémen, Chérif Kouachi ne tarde pas à y arriver.

« Une mauvaise réaction »

L’enquêtrice raconte qu’à son retour d’Irak, Peter Cherif avait déclaré que ce départ était « une mauvaise réaction », qu’il ne voulait plus être mêlé à tout ça. Mais à l’issue de son procès pour son activité de combattant, deux jours avant le jugement, il part en Tunisie en mars 2011 pour se soustraire à sa condamnation. Certes, c’est le pays de naissance de sa mère, mais à l’époque, c’est surtout le lieu où l’on trouve le plus grand nombre de   djihadistes parmi lesquels plusieurs français qui s’illustreront plus tard dans des attentats commis en France (Nice,  gare de Marseille, attaque d’un policier à Paris en 2016, etc.). Il arrive avec deux autres compatriotes, dont son ex beau-frère, Boubaker El Hakim, qui revendiquera l’assassinat en Tunisie d’un avocat et d’un député. Peter Chérif est hébergé par des connaissances dans la région, avant de rallier le Yémen, via le sultanat d’Oman.

« Une recrue de grande valeur »

Sur place, sa maitrise de l’arabe, du français et de l’anglais ajoutée à son expérience de combattant en Irak en font, selon les termes de l’enquêtrice, « une recrue de grande valeur ». Il est convoqué très vite par Anwar al-Awlaqi, prédicateur idéologue d’AQPA, surnommé le Ben Laden de l’internet. Il a chargé Peter Cherif d’effectuer des recherches sur des sujets politiques et stratégiques et de traiter la boite mail du magazine mise en place pour faciliter le djihad individuel. Le 25 juillet suivant, Chérif Kouachi emprunte l’identité de son frère Saïd et embarque pour Oman, sur le vol, on note la présence d’un autre membre de la filière des buttes Chaumont, Salim Benghalem.

Pour la DGSI, c’est Peter Chérif qui a permis à Chérif Kouachi d’intégrer AQPA

À l’en croire, Peter Cherif les aurait rencontrés fortuitement sur place. Une affirmation qui ne convainc pas la DGSI. Car AQPA est une organisation très fermée. Pour qu’ils aient eu accès directement aux cadres dirigeants, sans passer par un camp de formation, il faut que quelqu’un les ai recommandés. Qui, si ce n’est le seul français des rangs d’AQPA à l’époque, ancien membre de la filière des buttes Chaumont, comme eux ? L’hypothèse est confirmée par un témoin, emprisonné avec le numéro 3 d’AQPA, lequel lui a confié qu’il avait entraîné Chérif Chouaki. C’est un franco-tunisien originaire de la région parisienne, raconte-t-il qui l’a mis en contact avec Anwar al-Awlaqi pour une attaque violente en France. La description du franco-tunisien colle entièrement à celle de Peter Cherif.  Il aurait donc fait venir Peter Cherif, assuré la mise en contact avec les dirigeants d’AQPA dans le but de réaliser l’attaque de Charlie en France, puis participé à son entraînement en tant que traducteur.

Peter Cherif nie toute implication dans l’attentat contre Charlie Hebdo

Chérif Kouachi et Salim Benghamel quittent le Yémen ensemble le 15 août 2011 et rentrent en France. Le second avait pour mission d’une attaque dans une université, qu’il n’accomplira pas. Par la suite, la DGSI mentionne que Peter Cherif et Chérif Kouchi sont restés en contact, malgré l’éloignement, l’un étant demeuré au Yémen quand l’autre était de nouveau à Paris. Reste une question :  pourquoi un tel décalage de temps entre la formation en juillet-aout 2011 et l’attaque commise le 7 janvier 2015 ? Parce qu’entre temps, Anwar al-Awlaqi a été assassiné, parce qu’il a fallu se préparer, puis attendre l’ordre d’agir, explique l’enquêtrice. Trois alertes sont survenues durant ce laps du temps, mais à chaque fois elles n’ont rien donné et les enquêteurs ont dû renoncer aux surveillances, faute d’autorisation.

Interrogé jeudi sur son implication dans l’attentat, Peter Chérif qui alterne les longues périodes de silence et les prises de parole très maîtrisées, est sorti de son mutisme jeudi pour déclarer « Je n’ai pas joué de rôle, à un degré ou un autre, dans l’attentat de Charlie Hebdo ».

Le procès doit durer encore une semaine. L’accusé encourt la perpétuité.

 

 

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