Attentat de la basilique de Nice : « Je ne me souviens de rien » déclare l’accusé

Publié le 10/02/2025 à 18h55

Le procès de Brahim Aouissaoui, accusé d’avoir tué trois personnes dans la basilique de Nice le 29 octobre 2020, s’est ouvert ce lundi. L’intéressé affirme ne se souvenir de rien. La justice en doute.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision

 Lundi 10 février, palais de justice de Paris. La salle Vedel en préfabriqué semble bien exiguë comparée à celle des grands procès où l’on jugeait jusqu’à présent les dossiers terroristes. Parquée en mezzanine, la presse voit les magistrats et le box – mal à cause du reflet sur les vitres -, mais pas la salle. Brahim Aouissaoui, 25 ans, est seul assis sur le banc des accusés. C’est un homme d’1,80 m, mince, qui porte les cheveux mi-long et un collier de barbe. Il est vêtu d’un blouson clair.  Le 29 octobre 2020, il est accusé d’être entré à 8 h 30 dans la basilique de Nice, et d’avoir poignardé à mort deux femmes et un homme puis tenté de tuer six autres personnes avant d’être neutralisé par la police.

Une amnésie réelle ou simulée ?

Il est rare dans un procès terroriste que la justice ait à juger l’auteur supposé des faits. Généralement, ceux-ci meurent en « martyrs » en affrontant la police une fois l’attentat commis. Mais Brahim Aouissaoui a survécu à ses blessures. Problème : il a affirmé tout au long de l’instruction avoir perdu entièrement la mémoire. Il ne se souvient de rien. Ni de sa vie en Tunisie, ni de sa radicalisation, ni de son départ pour l’Europe, ni surtout de la journée du 29 octobre 2020. Impossible donc de connaître ses motivations. Cette amnésie est-elle réelle ou simulée ? C’est l’une des questions auxquelles les magistrats vont devoir répondre.

Le président se tourne vers le box et pose à l’accusé les traditionnelles questions sur son identité. L’interprète traduit. Brahim Aouissaoui s’est levé et répond sans difficultés : il est né en mars 1999 en Tunisie, donne le nom de ses parents et sa dernière adresse avant d’être placé en détention. Ses réponses montrent qu’il se souvient au moins de son état civil, c’est un progrès.

« Va te faire foutre !  » hurle une partie civile 

Dans les procès terroristes, on se demande aussi toujours si l’accusé va répondre à la cour, ou bien se retrancher dans un silence hostile, voire, profiter de l’occasion pour faire une déclaration d’ordre religieux. « Tout d’abord, je tiens à témoigner qu’il n’y a pas de divinité à part Allah et que Mohamed est son messager » avait ainsi déclaré Salah Abdeslam au premier jour du procès des attentats du 13 novembre. Brahim Aouissaoui est décrit dans le dossier comme très radicalisé, tant avant son passage à l’acte que durant sa détention. C’est aussi une personnalité difficile à gérer ainsi qu’en témoignent les nombreux incidents survenus dans les différents centres pénitentiaires où il a séjourné. On pouvait donc craindre une manifestation quelconque de protestation, mais visiblement, il semble décidé à coopérer.

Enfin, jusqu’à un certain point, car lorsque le président lui demande sa position à l’égard des accusations d’assassinat et tentatives d’assassinat en lien avec une entreprise terroriste, il répond : « je n’ai rien à dire là-dessus parce que je ne me souviens de rien ». Dans la salle, les parties civiles s’agitent, le fils d’une des victimes s’écrie « va te faire foutre ! », il est expulsé à la demande du président.

L’accusé victime de stress posttraumatique ?

Amnésique Brahim Aouissaoui ? L’audition, l’après-midi, de deux experts a quelque peu fragilisé sa défense sur ce point. Le premier décrit les blessures et les interventions médicales subies par l’accusé : poumon abimé, hémorragie intestinale, ablation d’organes, fractures du bassin, balles et fragments de balles partout dans le corps, infections…Brahim Aouissaoui a échappé de justesse à la mort. Lorsque son état a commencé à s’améliorer, l’intéressé s’est plaint de troubles du sommeil et de cauchemars, caractéristiques d’un stress posttraumatique. En le soignant, les médecins ont constaté qu’il était difficile de le séparer du respirateur, au point qu’ils ont dû lui administrer de la méthadone ; c’est un indice d’une possible toxicomanie. Ils ont donc réalisé un examen de ses cheveux qui a révélé la présence de cannabis évoquant une consommation occasionnelle récente, d’amphétamines (possiblement d’origine médicale), mais aussi du GHB. Y’a-t-il dans tout cela de quoi susciter une amnésie ? « Elle peut s’intégrer dans un syndrome posttraumatique, sans exclure une simulation », répond l’expert, tout en soulignant qu’il n’est pas psychiatre. En revanche, selon lui, l’amnésie ne peut pas résulter de ses blessures.

L’hypothèse d’une amnésie liée au GHB écartée par l’expert 

Le toxicologue qui lui succède explique qu’il a analysé le prélèvement sanguin et n’a trouvé ni alcool, ni médicaments, ni stupéfiants. Il y avait bien des traces de GHB, mais à un taux physiologique normal, ce qui écarte l’hypothèse d’une prise exogène. Comment expliquer la contradiction avec l’analyse des cheveux ? Ces derniers poussent d’un centimètre par mois, l’échantillon de 3 cm permet donc de dire que l’intéressé a consommé sur les trois derniers mois les produits concernés, en faible quantité. Impossible de dire si c’était avant ou après son arrivée clandestine en Europe, c’est-à-dire dans les quelques semaines ayant précédé son passage à l’acte, surtout que les malades hospitalisés transpirent beaucoup de la tête, ce qui engendre une auto-imprégnation. L’expert peut toutefois affirmer que l’accusé n’avait rien consommé le jour ou la veille des faits, sinon on en aurait trouvé trace dans son sang. Interrogé sur un possible effet du GHB, le toxicologue répond que si l’accusé avait été sous l’emprise de cette substance, il se serait endormi, ce qui est incompatible avec une action violente. En tout état de cause, la perte de mémoire provoquée par le GHB ne porte que sur la période entre la prise de la substance et le réveil, ni avant, ni après. Et il en va de même s’agissant de l’effet des anesthésies qu’il a subies lors de son séjour à l’hôpital.

À la fin de cette journée d’audience, le mystère de l’amnésie demeure donc entier. La cour a prévu d’entendre le psychiatre Daniel Zagury qui a examiné l’accusé et pourra l’éclairer sur d’autres causes possibles de perte de mémoire…

 

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