Attentat de la Basilique de Nice : l’accusé reconnait les faits mais prétend avoir tout oublié

Publié le 24/02/2025 à 18h44

On se demandait si Brahim Aouissaoui allait accepter de répondre aux questions lors de son interrogatoire sur les faits lundi. Mieux que cela, il les a reconnus et a expliqué pourquoi c’était un « droit » de venger les musulmans tués par l’Occident.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : @P. Cluzeau)

Vêtu d’un blouson beige qui ne parvient pas à étoffer sa maigre silhouette, Brahim Aouissaoui debout dans le box, les deux mains appuyées sur la cloison, s’apprête à répondre aux questions de la cour sur les faits qui lui sont reprochés. Va-t-il accepter de parler, s’interroge la salle ? La semaine précédente en effet, l’accusé a eu tendance à se renfermer dans le silence. Alors que le président lui demande à titre préliminaire s’il reconnait les faits qui fondent l’accusation, soit trois assassinats terroristes et sept tentatives, il répond, en arabe : « Oui, je reconnais les faits. Mais j’ai des choses à dire concernant ce que vous me reprochez. Tous les jours, il y a des musulmans qui meurent. Ce ne sont pas des gens aussi, ils n’ont pas de famille, pas d’enfants, ça vous est égal ? Vous n’avez aucune empathie pour ces gens !

—Parmi ceux qui vous jugent aujourd’hui, je ne pense pas qu’il y ait le moindre meurtrier, rétorque le président. Dois-je comprendre que ce que vous dites est une justification ? « J’ai décidé de tuer trois personnes et tenté d’en assassiner sept autres parce que des musulmans meurent et qu’il n’y a pas d’empathie » ? Qu’entendez-vous par « vous » ? , Les Français,  les chrétiens, qui ?

—Je parle de l’Occident en général » rétorque l’accusé qui précise que c’est un « droit », c’est « la vérité », la « justice » de venger les musulmans tués.

« L’important, c’était de faire de l’argent, en Italie ou ailleurs »

Les enquêteurs considèrent qu’il est venu délibérément commettre un attentat en réponse aux appels d’Al Qaida à frapper la France, suite à la republication des caricatures du prophète début septembre, cette année-là. Lui répond que c’était « pour travailler, faire de l’argent, se marier ». « Pourquoi vous n’en parlez pas à votre famille ? l’interroge la cour.

— Elle ne m’aurait pas laissé partir

—Vous vouliez aller en Italie, en France ?

—L’important était de faire de l’argent, en Italie ou ailleurs ».

Il est aussi flou sur les circonstances de son départ. Selon son récit, il apportait l’essence pour le bateau quand on lui aurait proposé d’embarquer en guise de paiement. À l’en croire, cela relève plus du concours de circonstances que du voyage préparé. On apprend toutefois qu’il a réglé ses dettes avant de partir, ce qui est un indice de projet terroriste : on n’entre pas au paradis si on doit de l’argent, de sorte que les djihadistes remboursent toujours ce qu’ils doivent avant de frapper. Il connait la règle mais nie que cela ait été son intention.

« Les caricatures étaient humiliantes »

La cour n’en tirera pas grand-chose de plus. Les photos dans son portable de djihadistes, de l’assassin de Samuel Paty, etc… Il ne s’en souvient pas. Le « projet » qu’il évoque « avec l’aide de Dieu » auprès de proches ? Un travail. Mais alors s’il cherchait un travail, pourquoi ne pas rester en Sicile à cueillir les olives, comme il l’a fait pendant quinze jours quand il a débarqué en Italie ?   Ce n’’était selon lui qu’un job provisoire. Ses proches le mettent en garde sur le climat en France à ce moment-là. On lui conseille de se couper la barbe. « C’était chaud à cause de ces caricatures, explique-t-il à la cour.

— Des caricatures ou des personnes qui viennent tuer les gens parce qu’on a publié des caricatures ?

— Les deux parce que les caricatures étaient humiliantes »

Le président tente de savoir ce qu’il pense de l’attentat contre Samuel Paty. « Je n’ai pas d’avis » répond l’accusé. Le magistrat a beau revenir à la charge, lui demander si au moins il trouve ça bien ou mal, il n’en tire rien. Pas plus que l’accusé n’accepte de se prononcer sur le geste d’Anzorov, l’auteur de l’attentat, car son acte relève selon lui du « choix personnel ». Pourquoi avait-il la photo du terroriste dans son téléphone ? Parce que tout le monde l’a sur Facebook.

La cour poursuit l’examen de son périple. Le 27 octobre, il prévient sa sœur qu’il est arrivé en France.

« Vous êtes content d’arriver ?

— Bien sûr après tout ce que j’ai vécu ».

« Je ne me souviens pas »

Ce n’est pas la traversée explique-t-il qui lui faisait peur, mais le risque de se faire contrôler en situation irrégulière. A peine arrivé à Nice, il rencontre, « par chance », deux hommes qui lui trouvent un lieu pour dormir,  dans un hall d’immeuble dont ils ont forcé la porte d’entrée. A partir de là, on sait que le lendemain il a été trois fois faire des repérages autour de la basilique. Mais il dit avoir oublié. Le reste est une longue suite de « je ne me souviens pas ». Son arrivée devant la basilique le 29 octobre à 8h24 du matin avec trois couteaux, dont un couteau à pain ? Il a oublié. Mais il argumente maladroitement sur les couteaux, « c’était pour manger ». Le président objecte qu’il y a plus pratique qu’un couteau à pain quand on voyage. L’attaque de la première victime, morte égorgée ? Il a oublié. Celle de la deuxième victime qui hurle et se débat ? Il a oublié. Le sacristain ? Il a oublié. L’homme qui entre dans la basilique et qu’il menace, il a oublié. Les cinq policiers qui lui ont tiré dessus. Il a oublié aussi.

Le président revient à la charge « Je voudrais savoir pourquoi vous aviez un droit de tuer des personnes qui n’avaient rien à voir avec des opérations dans les pays musulmans ?

— Ils n’y étaient pour rien, comme les innocents qui n’ont rien à voir avec la guerre qui leur est imposée. Ce sont les ordres que vous donnez d’ici.

— Je ne suis pas certains qu’on donne des ordres en France pour tuer des enfants là-bas.

—Vous le savez !  Pourquoi se cacher ? Vous savez très bien de quoi je parle, vous cachez, vous ne montrez pas ces crimes commis dans les pays musulmans, montrez la vérité aux gens ! » finit par crier l’accusé.

« Une personne raisonnable ne tue pas avec 30 coups de couteau »

Le président revient aux faits et décrit les 21 blessures infligées à la première victime, tant avec la pointe qu’avec le tranchant. L’accusé est intrigué. Un peu comme si on lui montrait une énigme qui ne le concerne pas en lui demandant de la résoudre. « Je trouve ça vraiment étrange, je ne vois pas pourquoi la personne aurait donné trente coups, explique-t-il. La « personne », c’est lui…

— Ce n’est pas 30 mais 21, corrige le président.  Vous avez raison c’est beaucoup !

— Une personne raisonnable ne tue pas avec 30 coups, continue d’objecter l’accusé.

— Vous nous avez dit « je suis l’auteur », si quelqu’un peut expliquer le pourquoi, c’est vous…

— Je vous ai parlé de la raison pour laquelle j’ai commis ces faits, mais je ne me souviens pas comment ça s’est produit ».

La semaine précédente, un médecin a expliqué qu’on pouvait être traumatisé par ses propres actes au point d’en perdre le souvenir ; toutefois, la mémoire peut revenir par des photos ou des mises en situation. L’accusé veut-il voir des images des victimes ? Non, répond-il. Tout au long de ces échanges se pose la même interrogation lancinante :  a-t-il réellement oublié ou refuse-t-il de se rappeler ? N’est-il pas dans le déni de la violence inouïe dont il a fait preuve ce jour-là ?  Selon un témoin en effet, lorsqu’il a vu le corps de la première femme assassinée, la plaie à la gorge n’était pas si béante. L’accusé pourrait être revenu pour achever la décapitation. La moelle épinière a été sectionnée, la tête ne tenait plus que par un lambeau de peau, constate un rapport. L’hypothèse est corroborée par les constatations des médecins légistes. Un tel acharnement glace le sang.

La décapitation ? « C’est pour faire peur aux gens »

« Vous nous avez parlé longuement du droit de tuer pour rétablir la justice, est-ce que la décapitation a un sens particulier ?

— C’est pour faire peur aux gens

— Vous dites que ce n’est pas du terrorisme, or c’est exactement ça le terrorisme !

— Oui, c’est de la terreur, mais le fait de couper la tête c’est un symbole qui envoie un message comme quoi il faut que l’injustice faite aux musulmans cesse ».

A force de patience, le président finit par lui arracher une confidence. Son amnésie devant le juge d’instruction ? Il a dit quelques jours plus tôt que c’était parce qu’il souffrait encore de ses blessures. Cette fois il avoue « J’ai dit que ce n’était pas moi, mais j’ai fait exprès répond-il finalement.

— Pourquoi vous disiez cela ?

— Je n’avais pas envie de parler ».

Une assesseure lui rappelle qu’il avait déjà trouvé incompréhensible devant les psychiatres qu’on assène trente coups de couteau à quelqu’un.  « Vous vouliez qu’on dise que vous étiez un peu fou ?

— Non, je sais pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait, mais je n’ai pas de souvenirs sur comment ça s’est passé exactement.

— Vous vous disiez guidé par le Seigneur ?

— Oui, c’est mon destin.

— Est-ce que ce destin correspond à celui que vous attendiez ?

— Non. Tout est déjà scellé, nous sommes tous prédestinés, je n’étais pas venu dans ce but, ça s’est passé comme ça et j’accepte ce qui est prévu pour moi ».

Est-ce une façon de se déresponsabiliser ? Même pas car il assure que chacun est responsable de ses actes.

Après la suspension du déjeuner, c’est au tour du parquet d’interroger l’accusé. Ni les deux magistrates portant l’accusation, ni les avocats des parties civiles n’en tireront grand-chose d’autre, à quelques détails près confirmant son enfermement idéologique et sa dangerosité. Impossible par exemple de savoir ce qu’il vise précisément quand il évoque les musulmans assassinés. Aux multiples tentatives de lui faire préciser sa pensée, quels conflits, dans quels pays, quels morts ? il répond systématiquement de manière allusive.  Mais quand le parquet lui demande s’il pense toujours légitime de venger un musulman innocent qui a été tué, il répond « Il ne s’agit pas de vengeance mais de faire face à l’injustice et de l’arrêter.

— C’est toujours le cas ?

— Oui c’est un droit ».

« C’est le destin »

Même l’invocation du chagrin des enfants des victimes le laisse de glace. Le fils de l’une d’elle, âgé de 15 ans, sanglotait à la barre la semaine dernière, rappelle son avocat. « Dans votre logique, est-il légitime… ». Il n’a pas le temps de finir sa phrase que Brahim Aouissaoui l’interrompt « lui il est adulte, il y a des nouveau-nés musulmans qui perdent leur mère et n’ont rien demandé.

— Vous estimez légitime que cet enfant soit désormais orphelin ?

— Ce n’est pas bien non plus, mais c’est pareil que là où les femmes et les enfants meurent.

— Donc c’est à relativiser ?

— C’est le destin, il y a des choses prédestinées », répond l’accusé avant de hausser de nouveau le ton en demandant « qui va défendre, les gens, là-bas, dont personne ne parle jamais ».

Son avocat n’en tirera rien non plus à part une longue tirade larmoyante sur son régime carcéral qui, selon lui, ne respecte pas ses droits. Il se plaint pêle-mêle de manquer de vêtements, de ne pas avoir correctement à manger, de ne pas voir de psychologue quand il le demande et, d’une manière générale, de son statut spécifique de détenu terroriste, il est vrai plus rigoureux que le régime de droit commun. On imagine aisément ce que les proches des victimes ont dû lui répondre dans le secret de leur coeur.

 

L’audience est levée à 15h30. Mardi la cour entendra les plaidoiries des parties civiles, puis les réquisitions et la défense mercredi. Le verdict est attendu dans la foulée.

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