Tribunal de Meaux : « Elle était à 30 secondes de sa maison, c’est ce qui l’a sauvée »

Publié le 15/03/2023

« Si on est une femme, il faut être chez soi pour se sentir en sécurité… » Ainsi s’exprime Emma*, 20 ans, attaquée par un professeur d’anglais de nationalité algérienne, arrivé en France sans visa. Prévenu d’agression sexuelle, Abdelaali nie les faits devant le tribunal de Meaux (Seine-et-Marne). Il ne convaincra personne.

Tribunal de Meaux : « Elle était à 30 secondes de sa maison, c’est ce qui l’a sauvée »
Salle d’audience au tribunal judiciaire de Meaux (Photo : ©I. Horlans)

 Il y a des jours comme cela. Des jours gris, pluvieux, aux vents contraires. Mercredi 8 mars 2023, les trois hommes qui comparaissaient devant la 1re chambre correctionnelle du tribunal de Meaux sont tous partis en prison. Il y a d’abord eu Dylan, condamné à neuf ans d’incarcération pour avoir tenté de violer son infirmière, si gravement atteinte qu’elle est incapable d’exercer depuis le 11 janvier (notre article du 9 mars ici). Puis Sabri, 18 ans, maintenu en détention jusqu’en juin à cause de son trafic de drogue.

Et voici Abdelaali, 41 ans, écroué le 5 mars à l’issue de sa garde à vue. Petit homme à fine moustache et front dégarni, vêtu d’un pull ras du cou, il se prétend « si respectueux de la loi que jamais [il] ne traverse la rue lorsque le feu est vert ». Il est pourtant soupçonné d’avoir surgi d’un buisson, le 2 mars à Torcy, d’avoir plaqué Emma* contre un mur avant de remonter sa main entre ses cuisses, jusqu’à l’entrejambe. La jeune fille s’est battue, elle a hurlé, a réussi à fuir jusqu’au domicile de ses parents, situé à 30 secondes au pas de course. Les jeunes du quartier se sont mobilisés et ont neutralisé le suspect.

« On m’a montré neuf hommes, je l’ai reconnu directement »

 De retour du travail, Emma descend de son autobus. Il lui reste à parcourir un bref trajet à pied pour rentrer chez elle. Il est 20 h 30, il fait nuit. Elle est en ligne avec une collègue quand elle longe le stade de Torcy. À sa droite, dans les buissons, elle entend un bruit. Un homme s’extrait des feuillages, pose une question. « Il a un fort accent étranger, je ne comprends pas, sauf “je cherche…”, raconte-t-elle à la barre. Je réponds que je suis au téléphone, je n’ai pas le temps de l’aider. Et tout va très vite. Il saisit mon bras droit, me colle contre le mur. » Coincée, la jeune fille sent une main atteindre son sexe. Elle photographie mentalement l’agresseur : « Son visage, son nez crochu, sa doudoune sombre, son bonnet, son portable, ni un Apple ni un Samsung, l’écran à fond blanc avec un dessin d’animal. Je me suis mise à crier, il a reculé, j’ai couru. » Son père appelle la police, et Emma alerte les jeunes de son quartier, camarades d’enfance.

La description est si précise « qu’un petit indique aux grands que l’homme l’a suivi dans le parc voisin, quelques jours plus tôt ». C’est « un nouveau » à Torcy. Le lendemain, repéré par le groupe d’amis, Abdelaali est encerclé. La police intervient, convoque Emma : « Au commissariat, on m’a montré neuf hommes, je l’ai reconnu directement, explique-t-elle aux magistrats. Je suis sûre de moi. » Il portait les mêmes vêtements que la veille.

« Une enquête menée par la populace ! »

 Abdelaali n’en démord pas : il n’a jamais croisé la route d’Emma. « Qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce que je fais en prison depuis trois jours ? Je suis bien éduqué, je respecte les femmes », assure le prévenu, depuis peu chez sa sœur à Torcy. Auparavant, il vivait en province chez son frère « mais je ne trouvais pas de travail ». Professeur d’anglais sans affectation à Alger, bien qu’il affirme parler quatre langues, il a migré en France. La présidente Teyssandier : « – Pourquoi venir sans visa, sans titre de séjour ?

– C’est difficile d’obtenir les papiers.

– Vous savez que vous faites l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, une OQTF ?

– Oui, j’ai l’intention de former un recours.

– Vous avez refusé de travailler pour la Cimade** ?

– C’était du bénévolat… »

Défenseur d’Abdelaali, Me Philippe Savoldi s’emploie à discréditer Emma dont il reconnaît toutefois l’agression, captée par sa collègue au téléphone. Jusqu’à remettre en cause l’écran à fond blanc avec l’animal – un panda – qui serait en fait « bleu pâle ». A 20 h 30 et en situation de stress, on peut se tromper sur le degré d’intensité d’une couleur claire. Il fustige également, à deux reprises, « une enquête menée par la populace », terme péjoratif à l’endroit de l’entourage d’Emma. S’il ressemble à la jeune fille, on est loin d’un milieu socialement défavorisé et encanaillé.

Variations autour d’un alibi

La plaignante reste ferme et posée. Comment se porte-t-elle six jours après les faits ? « Je ne ressens ni colère ni tristesse. Je me sens plutôt vide. J’étais très sociable, désormais ce sera peut-être différent. Je réalise qu’en fait, si on est une femme, il faut être chez soi pour se sentir en sécurité… » Marie-Charlotte Lunay, son avocate, insiste sur les multiples détails que la partie civile a relevés : « C’est lui, il n’y a aucun doute. Heureusement, elle était à 30 secondes de sa maison, c’est ce qui l’a sauvée ».

La vice-procureure salue « son sang-froid et la précision de sa mémoire en dépit du choc », ses déclarations « qui jamais ne varieront ». Elle regrette l’apparition d’un « alibi à l’audience » : la sœur et le beau-frère attestent qu’Abdelaali était dans leur jardin. Face aux policiers, il avait admis être « sorti faire un tour » avant de se raviser : « Je jouais du piano avec ma nièce », avouant s’être trompé car il était « troublé ». Le parquet n’accorde pas crédit à ses fluctuations. Sont requis un an de prison avec maintien en détention, dix ans d’interdiction du territoire français, une inscription au Fijais, le fichier des délinquants sexuels.

Philippe Savoldi aura beau s’en prendre à « la populace » qui aurait pu le « lyncher », à la couleur du fond d’écran « qui ne “matche” pas », rien n’y fera. Les trois juges renvoient Abdelaali en cellule pour quatre mois, peine complétée d’un sursis de durée équivalente. Il lui est interdit de séjourner en France jusqu’en 2026. Son nom sera transmis au Fijais. A Emma, il doit verser 1 000 € de dommages et intérêts. L’air éberlué, le condamné salue sa famille et s’en va, entouré de son escorte.

* Prénom modifié

** Association de soutien et solidarité aux migrants, réfugiés et étrangers en situation irrégulière

 

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