Tribunal de Meaux : « J’en avais marre d’être le petit Blanc de service ! »

Publié le 19/10/2021

Lassé de subir des insultes racistes en raison de sa couleur de peau et de son origine française, Benjamin a riposté. S’emparant du couteau brandi contre lui, il a gravement blessé son agresseur. Le tribunal de Meaux, en Seine-et-Marne, a tenu compte d’un « contexte particulier ».

Tribunal de Meaux : « J’en avais marre d’être le petit Blanc de service ! »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

Benjamin avait 18 ans à l’époque des faits, survenus le 25 mars 2017 dans une rue de Coupvray, commune du secteur Est de Marne-la-Vallée. Il jure avoir depuis « mûri » : « J’ai complètement changé, je me suis marié et je respecte ce que m’imposent les juges », assure le jeune prévenu condamné cinq fois. « Très bien ! », commente Guillaume Lespiaucq, qui préside la 3e chambre correctionnelle à Meaux. En l’état, cela ne suffit pas à l’exonérer des charges qui pèsent sur lui : violence en réunion ayant entraîné 15 jours d’incapacité temporaire de travail (ITT) à la victime, Theenesh.

La circonstance aggravante de « réunion » a été retenue car Benjamin qui, au sens propre, ne pensait pas faire le poids contre Theenesh et son frère, des durs à cuire dont il était « le bouc émissaire », s’est adjoint le concours d’un protecteur pour « s’expliquer » avec eux. Jean* comparaît donc à son côté mardi 12 octobre 2021. Le Guadeloupéen ressemble au « Géant Vert », la mascotte de l’entreprise de légumes B&G Foods. Et à l’évidence, pour lui dont c’est la première incursion dans un prétoire, il préfèrerait mesurer 50 centimètres et disparaître sous un banc de bois de la salle d’audience.

« A la vue du sang, j’ai su que j’avais merdé »

 Benjamin, 23 ans, doudoune verte et sweatshirt gris, est minuscule auprès de Jean, 25 ans, en volumineuse parka marine sur un tee-shirt du groupe de rock Guns N’Roses. Le juge lit le rapport des faits curieusement soumis à une longue instruction, bien que simples. Ce 25 mars 2017 à 1 heure du matin, Benjamin reçoit un texto insultant de Theenesh, la moindre injure étant « nique ta mère ». Une provocation parmi d’autres, une de trop. Il se rend à son domicile pour « comprendre », parce que lui reprocher « d’être un Blanc » est extrêmement déconcertant. Jean accepte de l’accompagner. A peine parvenus chez les frères V., Theenesh et l’aîné sortent armés d’un couteau. Benjamin retourne l’arme contre l’agresseur, atteint à la tête et au thorax. Theenesh s’écroule. A l’Unité médico-judiciaire, ses quatre plaies sont recousues.

Benjamin rejoint Jean dans sa voiture et regarde ses mains : « A la vue du sang, j’ai su que j’avais merdé », déclarera-t-il aux policiers le lendemain, après s’être présenté spontanément au commissariat. Cinq jours plus tard, les représailles à coups de machette, conduites par les frères V., laisseront Benjamin sur le carreau : 10 jours d’ITT. Et pour les V., des mois de prison.

À la barre, suspect et donc victime, il assume et exempte son ami géant de toutes responsabilités.

« Il fallait laisser le temps à mon cerveau de se poser »

 Le principal prévenu (Jean est poursuivi pour complicité) ne détenait pas d’arme, l’information judiciaire l’a établi. Theenesh était le propriétaire du couteau qui l’a meurtri. Reste à saisir comment Benjamin, 50 kilos, a eu le dessus face à un agresseur de 90 kilos. « Il a quatre blessures, vous zéro. Il était nul à ce point ? », interroge le président. Jean l’aurait-il aidé ? « Non, assure ce dernier. Ils sautent sur Benjamin, je bloque le plus proche de moi, je le maintiens, il se calme, je m’éloigne. » Il laisse son protégé aux prises avec Theenesh car il n’a jamais vu le couteau et il ne veut pas d’histoires, ni de casier judiciaire qui le priverait de son poste en entreprise publique.

Benjamin éclaire le tribunal : « – C’est vrai que j’étais plus petit et que mes 50 kilos, bon… Mais le stress et l’adrénaline m’ont permis de le repousser !

– Pourquoi aller les voir en pleine nuit ?

– 1 heure du matin, c’est comme 23 heures pour vous. On était jeunes. J’en avais marre d’être le petit Blanc de service, ça devait cesser ! Je ne pensais pas que ça tournerait aussi mal.

– Pour quelle raison ne vous rendre que le jour suivant ?

– J’étais abasourdi, apeuré. Il fallait prendre conscience des choses, laisser le temps à mon cerveau de se poser. Mais j’étais inquiet pour Theenesh ne sachant pas où je l’avais touché. Je reconnais que c’est grave. »

« Deux ans à trois dans une chambre d’hôtel de 13m2 »

 Il redit combien la vision du sang, une fois dans la voiture de Jean, lui a causé « un chamboulement psychologique » : « C’était la panique ». Son co-prévenu confirme et revient sur l’origine de la visite nocturne : « Il n’en pouvait plus qu’on s’acharne sur lui et souhaitait clarifier les choses. A la base, il avait très peur. Il m’avait demandé d’être là comme une espèce de bouclier. » Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre. Benjamin n’a plus été en garde à vue depuis 2019 : « Ça ne se reproduira pas. Je travaille, j’ai une épouse. » Le livreur sait qu’il risque la détention, il en accepte l’augure.

Le juge assesseur Dominique Gohon-Mandin se penche sur le contexte de l’époque : « Vous traversiez, aviez-vous dit, un passage à vide ? » La voix de Benjamin se brise : « Oui, ça faisait deux ans et demi que ma mère, mon frère et moi étions pris en charge par le 115 (le Samu social). Nous avons vécu deux ans à trois dans une chambre d’hôtel de 13m2… »

Pour la procureure, un mal-être ne constitue pas une excuse. Elle déplore qu’il « se pose toujours en victime » et ne croit pas qu’il ait pu vaincre « un homme de deux fois son poids ». Elle admet que « le dossier comporte des zones d’ombre » mais requiert quatre mois avec sursis contre Jean, un an ferme à l’encontre de Benjamin.

Son défenseur s’en prend au « ton moralisateur » du ministère public « qui charge la mule », pointe l’absence de partie civile, « ce qui en dit long sur son implication », révèle que son client « vient de perdre son bébé » et en appelle à l’indulgence des juges. Jean, qui n’a pas d’avocat, certifie encore n’avoir rien fait. Le président surprend en insistant pour qu’il demande la non-inscription d’une éventuelle condamnation au bulletin N° 2 du casier judiciaire. Le Code de procédure pénale l’oblige à présenter la requête. Le géant répète poliment la formule.

A 19h45, il est soulagé par sa relaxe. Le délit reproché n’a pas été établi. Et le petit Benjamin est également satisfait : les 12 mois de prison ferme sont aménagés sous surveillance électronique. Son bracelet au pied l’autorisera à poursuivre ses livraisons et à nourrir sa famille.

 

*Prénom modifié

 

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